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21 mai 2016 6 21 /05 /mai /2016 16:37

Textes utilisés (en tout ou partie, lors de ma conférence du 16 mai 2016, au café-débat, à Avignon).

Orthographe et ponctuation d'origine respectées.

Montaigne. Essais. Livre I. Chapitre VIII.

De l'oysiveté.

Comme nous voyons des terres oysives, si elles sont grasses et fertiles, foisonner en cent mille sortes d'herbes sauvages et inutiles, et que, pour les tenir en office, il les faut assubiectir et employer certaines semences pour nostre service ; et comme nous voyons que les femmes produisent bien toutes seules des amas et pieces de chair informes, mais que pour faire une generation bonne et naturelle il les fault embesogner d'une autre semence : ainsin est il des esprits ; si on ne les occupe à certain subiect qui les bride et contraigne, ils se iectent desreglez par cy par là, dans le vague champ des imaginations

;;;

et n'est folie ny resverie qu'ils ne produisent en cette agitation.

...

L'ame qui n'a point de but estably, elle se perd : car, comme on dict, c'est n'estre en aulcun lieu, que d'estre partout.

...

Bossuet. Méditation sur la briéveté de la vie (1648, l'auteur a 21 ans).

... Ma carrière est de quatre-vingts ans tout au plus ; et de ces quatre-vingts ans, combien y en a-t-il que je compte pendant ma vie ? Le sommeil est plus semblable à la mort : l'enfance est la vie d'une bête. Combien de temps voudrais-je avoir effacé de mon adolescence ? et quand je serai plus âgé, combien encore ? Voyons à quoi tout cela se réduit. Qu'est-ce que je compterai donc ? car tout cela n'en est déjà pas. Le temps où j'ai eu quelque contentement, où j'ai acquis quelque honneur ? mais combien ce temps est-il clairsemé dans ma vie ?

...

Bossuet. Maximes sur la comédie. 1694.

... XIX.

... Platon trouvait tous les arts qui n'ont pour objet que le plaisir dangereux à la vie humaine, parce qu'ils vont le recueillant indifféremment des sources bonnes et mauvaises, aux dépens de tout et même de la vertu, si le plaisir le demande. C'est encore un nouveau motif à ce philosophe pour bannir de sa république les poètes comiques, tragiques, épiques, sans épargner ce divin Homère, comme ils l'appelaient, dont les sentences paraissaient alors inspirées ; cependant Platon les chassait tous, à cause que, ne songeant qu'à plaire, ils étalent également les bonnes et les mauvaises maximes, et que, sans se soucier de la vérité, qui est simple et une, ils ne travaillent qu'à flatter le goût et la passion dont la nature est compliquée et variable. C'est pourquoi il y a, dit-il, une ancienne antipathie entre les philosophes et les poètes : les premiers n'étant occupés que de la raison, pendant que les autres ne le sont que du plaisir.

...

Réflexions chretiennes, sur divers sujets de morale, utiles à toutes sortes de personnes, & particulierement à celles qui font la Retraite spirituelle un jour chaque mois. Par le Pere Jean Croiset, de la Compagnie de JESUS. Nouvelle édition, revûë, corrigée & augmentée. Tome second. A Paris, chez Edme Couterot, ruë Saint Jacques, au bon Pasteur. M.DCC.XLIII. Avec Approbabation & Privilege du Roi.

( Le privilège est de 1706. ) L'auteur naquit à Marseille en 1656 et mourut en Avignon ( ou à Lyon ) en 1738.

P 105 et s. :

I. A voir ce qui fait aujourd'hui comme le fond des occupations ordinaires de la plûpart des gens du monde, n'auroit-on pas sujet de demander s'il suffit dans le monde d'être Chrêtien pour n'avoir rien à faire ; ou si la mollesse & l'inutilité de la vie ne passent pas pour un vice parmi les Chrêtiens.

Assemblées d'oisiveté, visites inutiles, entretiens vuides, amusemens frivoles, parties de jeu, promenades, spectacles, plaisirs : voilà à quoi je passe presque toute la vie, au moins jusqu'à ce qu'un revers de fortune, ou un âge usé & dégoûtant condamne les gens à la retraite ; & encore alors c'est une oisiveté chagrine, hargneuse, qui prend la place d'une molle faineantise. Les derniers jours de la vie sont plus fâcheux, mais ils ne sont pas moins vuides. On est oisif par necessité, après l'avoir été par plaisir.

On diroit qu'il suffit d'être riche, d'avoir un rang, d'être de qualité, d'être en place pour avoir droit de perdre le tems : l'inquietude même où l'on est pour sçavoir à quoi on perdra le tems, est d'ordinaire le seul soin qui occupe : le repos de la nuit prolongé bien avant dans le jour, ne fut jamais en des gens oisifs une disposition au travail. On se fait une loy, & souvent même un merite de ne sçavoir rien faire. L'inutilité du repos nourrit la mollesse, la mollesse l'oisiveté, & l'oisiveté le vice, dit le Saint Esprit.

Après avoir donné les premieres heures du jour à la parure, ou à quelque autre amusement aussi vain, on va à la derniere Messe comme au rendez-vous du beau monde. Là se noüent les parties de plaisir : là se déterminent les lieux des assemblées. Quelques entretiens fades amusent jusqu'au repas : la compagnie & la conversation charment ; ensuite quelques intervales de repos, qui déplaît toujours à qui n'a pas une conscience fort tranquille jusqu'à-ce que l'heure de recevoir ou de rendre des visites, rassemble les oisifs. Alors se forment les cercles, se lient les parties, recommencent ces comedies, & ces scenes privées où chacun se joüe, & ces entretiens ennuyants qui ne roulent que sur la bagatelle, & à qui la médisance sert de sel.

Avantures galantes, contes plaisans, bruit de ville, reflexion sur les ajustemens, sur les modes ; nouveaux projets de divertissemens, raffinement de delicatesse sur la santé ; pitoyable censure sur la forme & sur la vie exemplaire des gens de bien. Critique, raillerie, bons mots : voilà l'emploi de tous les jours, voilà la plus serieuse occupation de tout ce qu'il y a de plus brillant & de plus distingué dans une ville ; car il ne faut pas s'attendre à des conversations plus solides & plus utiles dans ces assemblées d'oisiveté.

On y est les heures entieres à y faire l'analyse d'une coëffe, l'apologie d'une nouvelle mode, l'éloge d'un nouveau jeu. Celles qui n'ont pas assez d'esprit pour fournir à de si maigres conversations, se flattent de supléer à ce défaut par l'éclat & la magnificence de leur parure. A force de vouloir s'y distinguer, plusieurs s'y rendent ridicules. Les uns contens de tenir leur coin dans le cercle, sont les deux ou trois heures sans dire mot, les autres défraient la compagnie par leur affectation ou par leur impolitesse. Cependant comme rien n'ennuye tant que l'oisiveté même, on cherche à trouver dans le jeu, ou à la promenade un nouveau goût à de si fades amusemens. Le spectacle délasse ensuite durant quelques heures ; & comme le repos & le silence de la nuit effrayeent toujours & inquietent des gens dont toute la facilité consiste à sçavoir s'étourdir ; le jeu, les repas & les assemblées nocturnes terminent enfin la journée de ces personnes qui font profession d'être chrêtiennes, c'est-à-dire qui suivent une Religion qui condamne jusqu'à la moindre parole oiseuse, & qui exige indispensablement de tous ses sectateurs une vie pure, mortifiée, laborieuse, & une régularité de mœurs si exemplaire qu'elle ne peut souffrir le plus petit relâchement. Joignez ces deux extrémitez & comprenez ce mystère.

II. En bonne foi la vie de ces oisifs fut-elle jamais une vie chrétienne ? Quand on n'auroit qu'une fort legère teinture de notre Religion, pourroit-on ignorer avec quelle severité elle réprouve l'oisiveté & la vie molle & inutile ? Le Ciel ne se donne qu'à titre de recompense, il ne fut jamais le salaire des gens oisifs. Matt. 25.

Il est peu de ces personnes qui n'ayent une famille à élever, & un domestique dont elles doivent rendre compte. Nulle qui n'ait bien des devoirs à remplir, la grande affaire du salut à ménager, des talens à faire valoir, des jours comptez à sanctifier, & un compte terrible à rendre à Dieu de tous les momens de ses jours, & de toutes les actions de sa vie ; une telle créance s'accorde-t-elle avec de telles mœurs ? & quand on a de pareilles obligations, a-ton sujet de passer les jours sans rien faire, a-t-on le loisir de perdre le tems ?

...

P 302 et s.

Quelle carriere plus difficile à remplir, quel pas plus glissant, quel poste plus dangereux, quelle place enfin plus exposée que celle d'un Magistrat, & sur tout d'un Magistrat ignorant ! Nul autre talent, nul autre merite souvent que celui que donne un nom, ou un riche heritage ; & pour un emploi si épineux, si délicat, on ne consulte ni la capacité, ni le genie, mais sa bourse, les interêts d'une famille, & toujours son ambition.

A près avoir reçu fort superficiellement & à la hâte, quelques leçons agregées d'un habile Docteur, après avoir parû quelques jours dans une Université, sans suivre très-souvent qu'une nouvelle pente d'ignorance, on ne merite pas, mais on achete des grades, & à la faveur de ce nouveau titre qu'on merite si peu, & qu'on remplit encore plus mal, on s'éleve sur ses égaux, on monte sur le tribunal, on devient tout à coup l'arbitre du sort des hommes ; & sans autre fonds bien souvent que celui d'une hardie temerité, on décide des biens, de la reputation, de la vie même. Quelle étude, quelle penetration, quelle science ne demande pas un employ de cette consequence ? Trouve-t-on tout cela dans tous les Magistrats ?

Ce jeune homme d'un esprit si borné, d'une application encore plus legere ; qui n'a qu'une teinture du Droit, qui n'est habile qu'au jeu ou à la chasse ; cet homme tout à ses plaisirs, & qui a si peu de goût pour l'étude, après avoir passé une partie de la nuit au jeu, se rend précipitamment à l'audience, & sans sçavoir presque de quoi il s'agit, du moins sans en avoir étudié le fond, les incidens, & toutes les circonstances, décide souvent par son suffrage de la vie de bien des gens, du sort & de la ruine de plusieurs familles. De quelle consequence est une bévuë en ces matieres ! On se tranquillise sur ce qu'on n'a pas eu d'autres lumieres, & où les auroit-on puisées ? Si la chasse, si les parties de plaisir, si la promenade apprenoient le Droit, & donnoient de l'esprit, bien des Magistrats seroient fort habiles. La qualité de Juge demande une étude continuelle, une application perseverante, & une discussion des pieces & des faits, qui n'ait pas besoin des yeux d'autrui. Un devoir si laborieux demande beaucoup de retraite, & s'accorde peu avec les amusemens & les plaisirs. Ceux qui prononcent à moins de frais risquent beaucoup.

Alaux, J. E. Docteur ès-lettres, Officier d'Académie, Professeur agrégé de philosophie au Lycée de Nice, actuellement à l'Ecole supérieure des Lettres d'Alger. Des variations de la morale dans le genre humain. Dans : Annales de la Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes. 1881.

... Que se doit l'homme à lui-même ? De s'instruire, de fortifier son intelligence, d'éviter l'ignorance, qui en est le néant, et l'erreur, qui en est la mort ? De suspendre et d'attendre, mais en cherchant à connaître ; de se réserver, de douter, tant que la clarté de la vérité ne luit pas encore à ses yeux ? De croître en science, mais de croître surtout en puissance, en droiture et en élévation de raison ? - L'esprit positif des Romains n'avait que dédain pour les hautes spéculations de la pensée, et pour les paresseux qui se livraient à cette oeuvre inutile qu'un blâme superbe. L'esprit positif ne s'est pas confiné dans Rome, et un blâme tout semblable poursuit en bien des pays la paresse du travail philosophique. Il en est d'autres où c'est, au contraire, à la vie contemplative qu'appartient l'estime, tandis que la vie active est peu prisée, lot misérable des pauvres, des humbles, des inférieurs. Ailleurs, la recherche de la vérité est proscrite comme une révolte de l'orgueil contre la foi, et l'effort pour comprendre comme un crime de lèse-divinité : on impose l'obligation morale de croire sur parole, sans preuve, ou avant la preuve ; on interdit le doute, même provisoire, hypothétique, purement scientifique ; on interdit surtout l'enquête sur les mystères, et le monde est plein de pieuses gens qui ne regardent qu'avec une véritable épouvante ces rebelles, ces hérétiques, ces enfants de Satan, ces êtres qui pensent, qui raisonnent, qui ne s'en rapportent pas à la parole dominatrice !

... L'homme se doit-il de conserver, de développer, d' orner et de parer son corps, d'entretenir et d'embellir cette demeure ou plutôt ce temple de son âme, de croître en force et en grâce comme en sagesse ? - Les cyniques se firent une vertu, et on leur fit une vertu, de vivre nus, sales et grossiers ; les Spartiates mirent leur gloire dans une rudesse qui ne nous paraîtrait guère moins repoussante ; et combien de chrétiens, combien de boudhistes, ont été vénérés pour la courageuse pratique d'étranges macérations, de mortifications inouïes ! En d'autres sociétés, l'admiration s'est portée sur ceux qui étaient capables de vider d'un seul trait les plus amples coupes, et la puissance de boire a été, comme la bravoure dans les combats, un titre d'honneur.

Le travail fut longtemps méprisé ; on commence à l'honorer aujourd'hui. Point n'est besoin d'aller bien loin ni de remonter bien haut pour voir la vie oisive tenue en singulière estime : c'était vivre noblement que vivre sans rien faire. L'oisiveté, cette mère de toute frivolité comme de tout vice, fut une noblesse. De nos jours même, où du moins l'on tient quelque compte d'une vie occupée, quels sont ceux qui infligent à la vie oisive la mésestime qu'elle mérite ? Elle trône dans les salons ; elle jouit de la considération publique ; les égards, les respects, les saluts dus au travail utile vont, se trompant d'adresse, à la fainéantise riche, qui les prend pour siens, et en triomphe.

... Le bien, au point de vue moral, n'est pas la conséquence d'un acte, mais un caractère de l'action ; et encore, non de l'action, mais de l'effort, du vouloir : le bien est un bon vouloir. C'est le cri de la conscience universelle, qu'il y a un bon vouloir, que vouloir le bien est vouloir bien, alors même qu'on se tromperait (mais de bonne foi) sur ce qu'on doit vouloir ; que qui veut le bien veut bien, est homme de bien, et mérite le bonheur. Non contente d'être universellement affirmative sur ce principe, la conscience l'est encore sur cet autre principe, qu'en elle-même, dans la raison, dans la notion du bien naturel à l'homme, elle découvre les formes du bien ; et elle l'est encore sur ces formes. Elle affirme partout que c'est un bien de s'instruire, prudentia ; un bien d'avoir l'empire sur soi, de régler ses inclinations, de les subordonner à la raison, temperentia ; un bien de savoir être libre et porter la dignité du nom d'homme, fortitudo ; un bien de soigner, de fortifier, de parer le corps, dans la mesure du bien de l'âme, dont il est l'instrument, et de l'honneur de l'âme, dont il est le séjour ; un bien d'être juste et de ne pas faire à autrui ce qu'on ne voudrait pas recevoir d'autrui, sauf le cas de légitime défense ; un bien d'être charitable et de faire à autrui ce qu'on voudrait recevoir d'autrui ; un bien d'aimer sa femme, d'élever ses enfants, d'honorer ses parents ; un bien de respecter dans les créatures inférieures le Créateur qui les a faites, mais non leur propre droit, puisqu'elles ne sont pas des personnes : d'où résulte pour nous le droit de les faire servir à nos besoins ; un bien de rendre au Créateur le culte qui lui est dû par la créature. La conscience humaine, unanime sur chacun de ces biens, varie sur l'application, ou encore sur la conciliation d'un bien avec un autre.

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