Babar a 80 ans.
C'est pour moi aussi surprenant, et aussi vrai, que de dire que j'en ai 60.
Créé en 1931 par Jean de Brunhoff, le roi-éléphant, lui, ne me semblait pas avoir vieilli: un homme, si je peux m'exprimer ainsi, dans la force de l’âge, un jeune père, un mari amoureux, un souverain débonnaire. Bref, un modèle pour plusieurs générations.
Encore que...
Est-il à l'abri des critiques telles que celles qui, périodiquement, visent Tintin, accusé de sentiments colonialistes, voire racistes?
Est-il à l'abri d'indignations telles que celle de certains bretons qui ne supportent pas de voir une naïve Bécassine symboliser leur nation?
Cela m'est difficile à dire. Je ne connais pas, loin de là, tous les albums de Babar. D'après les renseignements que j'ai recueillis, Jean de Brunhoff en aurait réalisé 7, son fils Laurent 11. De nombreuses adaptations imprimées ou audiovisuelles ont suivi (notamment une oeuvre savoureuse de Francis Poulenc). Mes sources pour cette modeste étude: les deux ou trois albums que je lisais enfant, dans les années 1960, et quelques volumes de l'Encyclopédie Babar publiée par Larousse vers 1990, achetés récemment. Une surprise à la lecture de l'un de ces derniers: Babar n'habite plus un palais mais une simple maison bourgeoise. Il semble également avoir renoncé au tabac, alors qu'il ne dédaignait pas fumer la pipe, comme son ami le Père Noël.
La population de Célesteville a changé: alors que dans les années 1960, sauf erreur de ma part, elle ne comportait que des éléphants (abstraction faite de la Vieille Dame et du singe Zéphir, tous deux amis du Roi), elle était devenue trente ans plus tard plus cosmopolite, puisqu’on y trouvait également des hippopotames et des rhinocéros. Des hippopotames, pourquoi pas?, mais des rhinocéros... Rataxès, leur roi, n'était-il pas l'ennemi de Babar? Il s'est apparemment "intégré", bien que toujours jaloux de son rival.
Devant ces modifications, je me suis renseigné sur les avatars actuels de mon personnage et de sa famille; le personnage central que l'on trouve sur le site Internet "officiel" de Babar est son petit-fils, Badou; quelle est sa filiation? Que sont devenus Pom, Flore, Alexandre et Arthur? Je l'ignore, et vous laisse enquêter. Toujours est-il que si vous racontez l'histoire de Babar à vos enfants ou petits-enfants, vous risquez de vous heurter à leur incrédulité, tant les changements ont été importants depuis 50 ans.
Le Babar que je connaissais portait fièrement, mais sans orgueil sa couronne; il s'habillait à l'ordinaire d'un costume trois pièces vert pomme, agrémenté d'un nœud papillon; il vivait dans un palais, mais simplement, sans domesticité. On voyait couramment son épouse, Céleste, vaquer aux soins du ménage. Malgré son physique majestueux, il était sportif, pratiquant notamment le tennis, la voile, le vélo. Il vivait simplement, et je ne pense pas que son traitement mensuel atteignait les 19.331€ versés à notre monarque républicain (7084€ avant 2007). Lorsqu'il se rendait aux Etats-Unis, il ne descendait pas dans un hôtel de luxe, mais chez des amis, et déjeunait simplement dans un drugstore.
C'était un monarque absolu, mais pas un dictateur. Son peuple vivait dans la paix, l'aisance et le bonheur.
L'hymne national de son royaume n'a jamais pu être traduit (ses premières paroles sont:
Patali Dirapata, Cromda Cromda Ripalo, Pata Pata, Ko Ko Ko); il est sans douteplus pacifique que celui que chantent encore avec fougue certains de nos compatriotes, sans bien savoir, ou en sachant trop bien, pourquoi ils clament:
qu'un sang impur abreuve nos sillons!
Alors, Babar est-il à l'abri de toute critique? N'en déplaise à quelques-uns (par exemple aux éléphants d'un certain parti), je pense que oui.
Jean-Louis Charvet.
