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25 juillet 2013 4 25 /07 /juillet /2013 20:26

Extrait de : Toussenel A. L'esprit des bêtes. Zoologie passionnelle. Mammifères de France. Quatrième édition, revue et corrigée. Paris. E. Dentu, libraire-éditeur. Librairie phalanstérienne. 1862.

 

 

" J'ai ouï dire en Afrique, en 1842, que le gouvernement d'alors avait eu la pensée d'employer le chien de chasse à la conquête de l'Algérie. L'idée me semble passablement hardie pour ce gouvernement. Il paraît cependant qu'on avait essayé du système à Bougie, où tout le monde a entendu parler des exploits de la compagnie franche qui gardait cette place et qui avait confié la défense de ses blockhaus à la compagnie des Chiens. J'ai connu l'illustre Blanchette, l'Attila du Kabyle, la plus noble expression de la bravoure canine, une grande levrette blanche qui ne marchait que sur trois pattes, ayant oublié la quatrième dans une lutte corps à corps avec un chef ennemi. Le zéphir l'admirait et partageait ses repas avec elle. L'éclat de ses services avait même attiré sur elle et sur les siens les regards reconnaissants de l'administration, et il avait été décidé en un jour de justice que, la compagnie des chiens s'étant noblement comportée devant l'ennemi, il lui serait accordé à l'avenir une ration quotidienne d'une livre de pain par tête. Le malheur voulut, hélas! que cette décision, pleine de bon sens et de justice, n'eût son effet qu'un temps, et que le zéphir, qui abuse de tout, même de l'innocence de l'agent comptable, trouvât moyen de faire allonger la susdite ration d'un demi-litre de vin, sous prétexte que la race canine n'avait pas moins besoin que l'homme d'un tonique fortifiant contre les ardeurs énervantes du climat. Or, comme il fut prouvé plus tard par une expérience authentique faite en présence de l’intendant militaire, qu’on avait indignement calomnié la race canine en lui prêtant des appétits bachiques, l’autorité, furieuse d’avoir été trompée, dépassa l’équité dans sa vengeance. Elle supprima la ration solide de la compagnie en même temps que la liquide. Le corps des chiens supporta cette disgrâce imméritée sans se plaindre; il ne menaça pas le gouvernement de se retirer chez les Volsques, loin de là; et comme le Caleb du sire de Ravenswood, son dévouement et sa fidélité s’accrurent de sa ruine. Le cheval ainsi traité eût passé à l’Arabe!

 

Je ne serais pas éloigné de croire qu’il y eût beaucoup à faire avec l’organisation du chien, mais surtout avec celle de la commune pour la colonisation de l’Algérie. Un colon plein de bon sens me disait: « La graine d’épinards et les bâtons de maréchal de France qui poussent si merveilleusement dans cette contrée coûtent à la France cent millions par an et dix mille soldats. Je prends l’entreprise de la colonisation si on veut me laisser faire, à quatre-vingt-dix millions et neuf mille soldats de rabais! » Il fondait toute son espérance sur le concours de l’association et du chien.

 

... Le chien aspire aux combats comme le cheval; il s'enivre de l'odeur de la poudre et s'abandonne à des excès de gaieté extravagante à la vue d'un fusil. J'en eus un en Afrique qui attaquait tout aussi volontiers l'Arabe que le lièvre, et qui périt victime de sa passion pour la guerre. C'était un animal charmant, qui riait pour le moindre bon mot comme le chien de Stanislas; un admirable métis de braque et de bouledogue, privé d'oreilles, mais pourvu en revanche d'une queue superbe en cor de chasse. Un jour qu'un fort parti d'Hadjoutes nous avait surpris braconnant vers la lisière embaumée des orangeries d'Allouya, tout au pied de l'Atlas, et que la conversation du salpêtre était chaudement engagée, Bichebou, c'était le nom de mon compagnon d'armes, s'amusait à faire la navette de l'ennemi à nous, accourant à chaque coup de feu pour voir ce qu'on avait tué. A ce vice de curiosité excusable, l'animal unissait, hélas! le défaut de trop tenir au gibier de son maître et d'avoir la dent dure. Il advint donc qu'un chef arabe, superbement monté, tomba dans la direction de mon arme, et que l'intrépide Bichebou crut qu'il y allait de son honneur de me le rapporter. Peut-être le succès eût-il couronné cette tentative avec un ennemi mort, mais celui-ci ne l'était pas; il n'était que démonté du bras droit, et, saisissant de la main gauche son yatagan terrible, il fit dans les flancs de son agresseur une large blessure. Pauvre Bichebou! Je crois le voir encore, étendu sur la rouge arène, me tendant, en signe d'adieu suprême et sans bouger la tête, sa patte ensanglantée, et m'adressant du regard et de la queue sa dernière caresse; puis essayant de se relever encore au son bien connu de mon arme, et retombant enfin épuisé sous l'effort... Ils disent par là-bas que j'ai vengé sa mort, et qu'un Kaïd de la Mitidja jure parfois mon nom quand le temps veut changer.

 

Le deuxième régiment d'artillerie conserve dans ses archives le souvenir des hauts faits du caniche Mitraille, que son amour étrange pour le bruit du canon avait fait baptiser ainsi; un vrai coeur de lion sous une peau de brebis. Mitraille, qui aimait à se vêtit à la façon du roi des animaux, se distingua par sa vaillance à l'attaque et à la prise d'Alger, et fut un des premiers assaillants qui pénétrèrent dans le corps de la place. Immédiatement après la victoire, il s'offrit généreusement à déguster les sources du pays conquis, qu'on disait avoir été empoisonnées par les Arabes, et il rendit à l'armée française en cet office de gourmet d'innombrables services. Rentré en France avec sa batterie et caserné à Metz, il essaya quelque temps de tromper, par les délassements de la petite guerre, l'ardente soif des combats qui le brûlait au cœur; mais sa passion empirant de jour en jour finit par le dégoûter des vains exercices du polygone, et par lui inspirer le désir de tenter l'impossible. Las de déterrer les boulets morts, il rêva d'arrêter l'obus en sa course rapide, et périt dans une rencontre avec un de ces projectiles, rencontre qu'il avait provoquée. Digne et glorieuse fin d'une vie si bien remplie.

 

La postérité, qui commença de trop bonne heure pour Mitraille, n'a trouvé jusqu'ici que deux ou trois faiblesses à reprocher à sa mémoire, entre autres un mépris non motivé du civil combiné avec une estime exagérée de l'uniforme et la passion des liqueurs fortes. Mais encore est-il juste d'attribuer ces travers et ces goûts déplorables à la triste influence du milieu où il avait vécu. Un chien ne se dégrade pas spontanément ainsi."

 

 

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