Extrait de mon journal de voyage au Danemark.
Veddelev, Roskilde, Danemark, 10 août 1996.
Chez l ’habitant, une dame âgée, dans une maison dominant un fjord.
Cet endroit est extrêmement paisible.
L ’hôtesse, une de ces old ladies des romans d’Agatha Christie.
La maison, calme, bien entretenue, au jardin parfait dans sa simplicité, dans lequel on peut imaginer que se déroule, au choix, un drame affreux ou une vie paisible.
Donnant sur la mer, de gauche à droite en la regardant, la salle à manger, une chambre occupée par un couple de canadiens anglophones; puis ma chambre, ou plus exactement un bureau dans lequel se trouve un divan assez étroit; dans la bibliothèque, de nombreux livres en danois, anglais et autres langues; des classeurs sur lesquels sont apposées des inscriptions décrivant leur contenu, notamment celle-ci: « mes articles »; la dame est-elle écrivain ou était-ce son mari, dont elle a dit ce matin qu ’il était professeur? Je le tue d’ailleurs sans preuve, il a pu tout aussi bien aller chercher des cigarettes, mais cela m’étonnerait; enfin, une chambre occupée par un couple de quinquagénaires allemands.
Dans la bibliothèque, « Pierre et Jean », roman de Maupassant que j ’ai commencé à lire hier soir. La préface est très intéressante, consacrée à l’art du roman. Maupassant y rapporte ce conseil que lui avait donné Flaubert: fixer son attention sur un objet, un paysage, une personne et en faire une description minutieuse, afin que l’objet, la personne ne ressemble à aucun, à aucune autre. Je devrais m’appliquer à suivre ce conseil car, si j’observe, tout le jour durant, ce qui m’entoure, je ne prends que rarement le temps d’en faire une description exacte.
Comment rendre en particulier le paysage que je contemple? Certes, il faudrait mettre en parallèle, c ’est bien le terme qui convient, toutes les horizontales qui le composent: celle d’abord du dallage que protège un auvent, celle de la pelouse, traversée par une diagonale, de gauche à droite, qui conduit à un petit escalier, invisible d’ici, descendant vers la mer; celle de la petite haie qui clôt le jardin, symboliquement, et fait plutôt office de muret; l’horizontale ensuite de la mer qui, curieusement, alors que le vent est fort et constant, n’est pas agitée de vagues mais juste caressée d’un frémissement qui la revêt d’écailles de poisson; celle de l’île ou de la presqu’île, légèrement ondulée, recouverte de bois, au milieu de ce tableau que je contemple; et enfin, de part et d’autre de cette île, la côte dans le lointain qui alterne champs de blé non coupé, descendant jusqu’à la mer, et bosquets.
Ce que l ’on ne voit pas d’ici, c’est le bord de la mer, noir, avec de minuscules plages de quelques mètres, faites de coquillages blancs et de débris de coquilles de moules; la vase est parsemée de cailloux noirâtres, principalement des silex.
Quelques petits bateaux donnent l ’échelle. Hier soir, il y avait quelque animation, mais fort sage: un homme âgé remettait à neuf son bateau, un autre déplaçait le sien, marchant à vingt mètres du rivage dans à peine dix centimètres d’eau; deux ou trois planches à voile coloraient vivement ce fond un peu terne; et, plus tard, on vit passer un canoë, avec quatre hommes à bord; et deux adolescents, au bord du ponton de bois, commencèrent à lutter quelque peu, avant de se jeter à l’eau et nager.
Juste à l ’instant, un homme, debout dans une barque, la fait glisser avec une perche, comme Charon sur le Styx, ombre chinoise sur une mer et un ciel qui, ce soir, sont gris-bleu, le soleil étant, lui, d’ un blanc à peine coloré de jaune.
Pas d ’autre bruit ce soir que le vent dans les feuilles et le cri des mouettes.
Odense, Danemark, 13 août 1996.
Dans le parc, près de la gare, au bord d'une pièce d'eau rectangulaire, au centre un îlot porte deux saules pleureurs; des canards; un détail montre le sens pratique des danois: il y a sur les bords de la pièce d'eau des petites passerelles de bois permettant aux canards d'aborder plus facilement sur le gazon.