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8 juin 2011 3 08 /06 /juin /2011 11:44

Histoires de familles.

Un ami psychologue m'a demandé pourquoi je passe tant de temps à des recherches sur ma généalogie et mon histoire familiales. Je lui répondis, pour me dérober, qu'il le savait bien, en tant que psychologue et en tant qu'ami.

Mais je n'ai pas, n'aurai sans doute jamais la réponse à cette question.

Ce que je sais c'est que ma manie est fort commune. Jamais on ne s'est intéressé autant à la généalogie, autrefois distraction des puissants et des nobles. La pratique de cette science, car c'en est une, a été considérablement facilitée par le travail remarquable des associations généalogiques, grâce à leurs relevés et à leurs publications, et par l'informatique, qui permet souvent de mener des recherches approfondies sans être obligé de se rendre aux archives (même si la consultation des sources est parfois indispensable).

Ce que je sais aussi, c'est que la recherche de ses origines est pour l'homme une nécessité vitale; d’où viens-je, ce n’est pas seulement une question philosophique, mais aussi une interrogation intime, pressante, qui s’accompagne d’une autre: pourquoi suis-je venu au monde, et d’une autre: suis-je libre ou ne suis-je que le produit, impuissant, d’une hérédité?

L’un de nos grands écrivains, Émile Zola, a tenté de répondre à ces questions dans les Rougon-Macquart, dont le sous-titre est: Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire.

J’ai lu il y a peu Au Bonheur des Dames, avec intérêt et grand plaisir; comme dans ses autres romans, l’auteur y est à la fois un témoin précieux de son temps, décrivant l’ivresse des femmes dans ces temples de la consommation qu’étaient alors les luxueux grands magasins, remplacés depuis par nos froids hypermarchés, et un psychologue avisé, lorsqu’il décrit, par exemple, la passion d’Octave Mouret, homme d’affaires puissant, pour une humble employée , Denise Baudu.

Mon dealer en livres me conseilla de lire les Rougon-Macquart du début à la fin, ce que je viens d’entreprendre.

Mais, comme à mon habitude, j’ai fait une entorse à ce programme en feuilletant un peu les cinq volumes de la collection La Pléiade.

Et je fus frappé du fait que si le cycle commence dans un ancien cimetière, il finit dans la demeure d’un médecin, le docteur Pascal, obsédé par le problème de l’hérédité, accumulant notes sur notes à propos des observations faites dans l’exercice de son art, ou, tout simplement, en observant les membres de sa famille. Ce personnage, dont je viens à peine de faire la connaissance, m’est étrangement proche.

Je reviens aux questions posées plus haut, et en pose une autre: que m’importe de savoir que, parmi mes ancêtres, je compte Berthe aux grands pieds, Othon le sanguinaire de Germanie, Etiennette Douce de Marseille, Guillemette de Sabran, Phanette des Baux, Sancie de Simiane, Galburge de Mornas, mais aussi, sans doute, des personnes peu recommandables, et des milliers d’oubliés de l’Histoire? j’écris ce mot avec une majuscule, car on veut, peut-être à tort, la distinguer des histoires, modestes, celles de ces paysans, de ces artisans, de ces commerçants, qui, souvent n’ont laissé de traces que dans les registres d’état-civil, les minutiers des notaires, et les recensements.

Je laissera le soin de répondre au comte Alexandre de Tilly, page de la reine Marie-Antoinette:

L'Histoire! Cette compilation incertaine de notre fugitive apparition sur ce globe de sang et de boue! L'Histoire! que nous pouvons à peine écrire quand nous en sommes les contemporains; nous qui voulons citer les siècles dans nos pages mensongères; nous qui voulons deviner les mystères de la nature, et le dernier secret de Celui qui l'a créée!!! Et nous mettrions de l'importance à quelque chose, nous qui sommes nés d'hier, qui mourrons demain, nous qui foulons une terre qui périra comme nous? et qui écrivons quelques pages de notre histoire; tandis que toutes les pages de la vie sont déchirées, que le grand livre de l'univers sera lui-même effacé, et qu'il ne restera plus que l'immensité du néant!

Comment expliquer l'attrait qui nous pousse à laisser un souvenir sur des débris et parmi des ruines? L'homme a donc un penchant à disputer quelques dépouilles à la mort, à déposer quelques traces de lui-même, à propager des pensées qui furent contemporaines de son passage dans la vie? Il espère que ses écrits lui survivront de quelques jours: il aime à lutter avec le néant.

Cette lutte, je la crois salutaire, pour les individus comme pour les nations, comme pour les peuples. Et je trouve plus de courage et de noblesse chez le docteur Pascal, qui consigne tous les faits qu’il observe, que chez sa parente, Félicité Rougon, qui brûle tous les papiers du docteur, pour sauver ce qu’elle appelle « la gloire de notre famille ».

L’oeuvre, le grand œuvre, dirai-je, se termine par une lueur d’espoir: Clotilde, au chevet de son enfant, découvre, seul document échappé des flammes, l’Arbre généalogique de la famille, se souvient du cri de Pascal: « Ah! notre famille, que va-t-elle devenir, à quel être aboutira-t-elle enfin? », avant de contempler son enfant, avec la conviction qu’il serait très beau, très bon, très puissant, nourrie de « la croyance qui donne à l’humanité la force sans cesse renaissante de vivre encore.»

Jean-Louis Charvet.

 

 

 

 

 

 

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