Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 septembre 2013 1 02 /09 /septembre /2013 23:22

Extrait des Guêpes, d'Alphonse Karr, juillet 1840. Sur Louis Colet, auteur de ce coup de couteau, voir mon article sur ce blog, à la rubrique "petites biographies".

 

" Comme, hier, je sortais de la maison que j'habite, rue de la Tour-d'Auvergne, une femme m'aborde et me dit:

- Etes-vous monsieur Karr?  - je voudrais vous parler un moment.

Je m'incline en lui désignant de la main la porte de la maison.

- Non, me dit-elle, passez devant pour me montrer le chemin.

Je la salue et j'obéis. Mon domestique était sorti, je m'adresse à la portière pour avoir les clefs de mon logis; à  ce moment l'inconnue tire un long couteau qu'elle tenait caché dans son ombrelle et m'en porte un coup dans le dos. La portière jette un cri, - moi, d'un seul mouvement, j'avais paré le coup et saisi le couteau.

- Marie, dis-je à la portière, vous laisserez sortir librement madame, - et vous, madame, vous me permettrez de ne pas prolonger cette petite conversation.

Je la saluai et rentrai chez moi, tandis qu'elle disait: "C'est impossible, il faut qu'il ait une cuirasse."

- Parbleu, - dis-je à Léon Gatayes, - qui arriva quelques instants après, en lui montrant le couteau:

- j'ai bien raison de dire que ces femmes de lettres sont de bien mauvaises femmes de ménage; en voilà une qui vient de dépareiller une douzaine de couteaux!

- Tu te trompes, me dit Gatayes, celui-ci est le couteau à dépecer.

Puis nous allâmes dîner à Saint-Ouen, et passer le reste de la journée sur la rivière.

Ce matin, j'apprends que l'accident a donné lieu, dans le quartier, à de singulières appréciations.

- Quelques journaux ont présenté le fait avec des circonstances bizarres. -Quelques récits me donnent un air de Don Juan puni, dont je ne veux pas accepter le ridicule; - d'autres pensent que c'est une anecdote inventée à plaisir par quelque feuille facétieuse, - ce qui me rendrait complice d'un mensonge que je n'aurais pas démenti; c'est ce qui me détermine à en parler ici.

Mon ami le docteur Lebâtard, qui est venu voir s'il y avait de l'ouvrage, m'affirme que la blessure pouvait être fort dangereuse, et certes j'aurais été atteint si on m'avait porté le coup tout droit au lieu de lever le bras au-dessus de la tête, comme font les tragédiens, sans aucun doute dans la prévision de la lithographie qui pourrait être faite de la chose.

Les honnêtes dimensions du couteau sont de trente-huit centimètres de longueur. - La largeur de la lame est de deux centimètres et demi.

Il est aujourd'hui accroché dans mon cabinet au milieu de mes tableaux et de mes statuettes, avec cette inscription:

 

DONNE PAR MADAME... (dans le dos).

 

Maintenant que tout le monde a pu émettre son opinion sur cette aventure, je vais donner la mienne.

L'auteur de cette exagération - est une femme que j'ai désignée trop clairement dans un volume précédent. - C'est la seule fois, depuis que je publie les Guêpes, qu'il me soit arrivé de désigner ainsi une femme à propos de choses dépassant la plaisanterie. - J'ai fait un acte de mauvais goût; je ne suis pas fâché de l'avoir expié. Et, en y réfléchissant, je ne trouve réellement pas qu'elle ait tout à fait tort; - il faut le dire, il y a dans cette manière de ressentir et de venger une injure, - soi-même, - seule, - en plein jour, - quelque chose qui ne manque ni d'énergie ni de courage, et ne manquerait pas de noblesse, - si le couteau n'était pas un couteau de cuisine.

Je le répète, - j'ai fait un acte de mauvais goût, et j'en demande humblement pardon à toutes les femmes."

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de jlcharvet.over-blog.com
  • : Des poésies, des histoires, etc.....
  • Contact

Recherche

Archives