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14 mai 2010 5 14 /05 /mai /2010 19:36

Un meurtre à Aix en 1784.

Dans son très bon guide "Aix en Provence et le pays d'Aix" (édition de 1967), Jean-Paul Coste écrivait, au sujet de l'hôtel d'Isoard de Vauvenargues, situé cours Mirabeau:

Dans cet hôtel, en 1784, Bruno d'Entrecasteaux, président au Parlement, sur l'impulsion de sa maîtresse, assassina sa jeune femme, Angélique de Castellanne. Le meurtrier s'enfuit et mourut en prison à Lisbonne.

Roux-Alphéran, dans son livre "Les rues d'Aix"(1846), a raconté ce drame de la façon suivante:

Le premier (hôtel particulier), qui fait le coin de la rue Saint-Lazare, fut bâti, en 1710, par François de Boniface-Laidet, seigneur de Peynier et de Fombeton, conseiller au parlement, qui le vendit, en 1751, à l'avocat-général Gaspard de Gueidan, dont nous avons parlé naguère et onze ans plus tard celui-ci le revendit à Jean-Baptiste de Bruni, marquis d'Entrecasteaux, etc., président au parlement, père du célèbre contre-amiral, Joseph-Antoine de Bruni d'Entrecasteaux, né dans cette terre et non à Aix, vers 1739, et dont on peut lire l'éloge dans la Biographie universelle de Michaud.

Jean-Baptiste de Bruni et son fils aîné, qui lui avait succédé en 1756 dans la charge de président au parlement et qui périt, en 1794 , sur l'échafaud révolutionnaire d'Orange, habitaient encore cet hôtel lorsqu'un crime inouï y fut commis, peu d'années avant la révolution. Nous n'en eussions peut-être rien dit, comme n'étant ni assez ancien ni assez nouveau, si un événement pareil et tout récent, arrivé à Paris dans l'hôtel du maréchal Sébastiani, n'était venu réveiller des souvenirs mal éteints et affliger en même temps plusieurs familles recommandables. L'horrible assassinat de madame la duchesse de Choiseul-Praslin a rappelé celui de la présidente d'Entrecasteaux, et quelques journaux ont cru pouvoir, en parlant de l'un, parler également de l'autre. Mais des erreurs ayant été commises par ces journaux dans la relation de ce fait, le Mémorial d'Aix du 24 octobre 1847 les a rectifiées et a donné des détails curieux et peu connus, dans un article anonyme que nous allons reproduire.

" L'article qu'ont publié successivement depuis quelques jours le Journal des Villes et des Campagnes et le Censeur, journal de Lyon, sous le titre de : Madame d'Entrecasteaux et Madame de Praslin, est rempli d'inexactitudes qu'il importe aux journaux de la localité de signaler. Ce fut dans la nuit du 30 au 31 mai 1784, du dimanche au lundi de la Pentecôte, (et non en 1785), que madame la présidente d'Entrecasteaux (Angélique Pulchérie de Castellane-Saint-Juers) fut égorgée dans son lit, au premier étage de son hôtel, situé vers le bas du Cours à Aix. L'assassin lui coupa la gorge avec un rasoir qui fut retrouvé, non à cette époque et dans le fond d'un puits, comme le dit l'auteur de l'article en question, mais environ vingt-cinq ans plus tard, lorsque M. Meyffret, juge au tribunal d'appel d'Aix, occupant le rez-de-chaussée de l'hôtel d'Entrecasteaux et faisant replanter le jardin, les ouvriers rencontrèrent dans la terre l'instrument du crime.

L'assassin demeura inconnu pendant deux jours ; mais le lieutenant-criminel à la sénéchaussée d'Aix, M. Lange de Saint Suffren, n'avait pas tardé si longtemps à signaler le président d'Entrecasteaux lui-même comme étant le meurtrier de sa femme.

Celui-ci était un jeune homme de vingt-six ans, qu'on a dit faussement être le frère du contre-amiral d'Entrecasteaux et qui était son neveu. Il avait une physionomie des plus heureuses, il était aimable et spirituel ; mais il nourrissait dans son cœur une passion criminelle pour une dame amie de la présidente et qu'il est inutile de nommer, puisqu'elle ne fut nullement impliquée dans la procédure qui s'instruisit bientôt après. L'article que nous relevons l'appelle la présidente de Cubre (pour dire de Cabre) ; mais c'est encore une erreur : madame de Cabre ne fut jamais pour rien dans cette horrible affaire.
Le lieutenant-criminel ayant communiqué ses soupçons à M. de Castillon, procureur-général au parlement, ce grand magistrat fit aussitôt évoquer l'affaire devant la cour, et ce fut dans les premiers moments de l'instruction qu'un parent de M. d'Entrecasteaux (et non M. de La Tour, premier président du parlement) dit au prévenu : " Voilà une bourse pleine d'or, prenez-là et fuyez au plus tôt si vous êtes coupable. Si vous êtes innocent allez vous constituer prisonnier. " M. d'Entrecasteaux prit la bourse en pleurant et partit en poste pour Nice, échappant aux cavaliers que le parlement envoya sur-le-champ à sa poursuite.

De Nice, il passa à Gênes où il s'embarqua sur le vaisseau Ragusais la Parthénope, sous le nom du chevalier Jean-Baptiste de Barail, enseigne du régiment du roi, en France, âgé de vingt-six ans, natif de Metz, et fils de M. Jean-Paul de Barail. La Parthénope arriva à Lisbonne le 17 juillet 1784, après trente-deux jours de navigation, et le surlendemain 19, le chevalier de Barail fut arrêté par ordre de la reine de Portugal, à la demande de l'ambassadeur de France et traduit dans la prison dite de Limoéiro où depuis il fut constamment gardé à vue. On trouva sur lui une montre à la chaîne de laquelle pendait un cachet aux armes de la famille d'Entrecasteaux. Ces objets furent envoyés au greffe du parlement d'Aix et joints à la procédure.

Le prétendu chevalier de Barail fut bientôt reconnu pour être le président d'Entrecasteaux d'après les signalements envoyés de France, et lui-même avoua qui il était aux personnes qui le visitèrent disant qu'il avait changé de nom pour n'être reconnu. - Onze mois plus tard, il fut atteint dune fièvre maligne dont il mourut dans la même prison de Limoéiro, le 6 juin 1785. L'abbé Grenier, chapelain de la nation française à Lisbonne, l'assista dans ses derniers moments. L'écuyer de S. M. très fidèle, Laurent-Anasthase-Michia Galvao, parent des d'Entrecasteaux, voulut le faire inhumer dans le caveau de sa famille, dans l'église de Saint-Pierre-d'Alcantara et envoya à cet effet un carrosse de la maison royale pour transporter le corps ; mais cela n'eut pas lieu : un ordre de la cour étant arrivé portant que l'inhumation serait faite sans ostentation dans l'église de Saint-Martin, qui est la paroisse de la prison, où le défunt fut enseveli, le 17 juin, en habit de religieux de Saint-François.

Cependant le parlement d'Aix n'avait cessé de solliciter avec instance de son souverain une demande à la cour de Portugal en extradition du prisonnier que la procédure désignait comme coupable. Mais n'ayant pu l'obtenir, par arrêt rendu par contumace, les chambres assemblées, le 17 novembre 1784, le président d'Entrecasteaux fut condamné à avoir les deux poings coupés, à être ensuite rompu vif et à expirer sur la roue.

Tous ces faits résultent de la procédure et d'une foule de pièces authentiques émanées du consulat-général de France en Portugal et qui existent encore avec la procédure et l'arrêt au greffe de la cour royale d'Aix, où sont conservées les archives du parlement. Des romanciers sont venus, il y a quelques années, qui, connaissant le fond de l'affaire, mais ignorant les détails, en ont créé d'imaginaires propres à captiver la curiosité du public. Une catastrophe récente, l'assassinat de madame la duchesse de Praslin, semblable à celui de madame d'Entrecasteaux, va faire naître de nouveaux romanciers qui, renchérissant sur les premiers, broderont à leur guise cette affaire qui devrait être oubliée depuis longtemps, comme s'oublient bientôt les affaires de même nature qui se déroulent chaque jour devant les cours d'assises. Nous finirons en rapportant les paroles de l'auteur des Essais Historiques sur le parlement de Provence, à l'occasion de ce déplorable événement :

" Quelques pressantes que fussent les charges qui pesèrent sur lui (le président d'Entrecasteaux), quelque consistance que leur donnât sa fuite ; il ne faut cependant pas confondre une condamnation par contumace avec celle qui est le résultat d'un examen contradictoire. L'humanité les distingue, pour laisser à une famille honorable et malheureuse la consolation de pouvoir dire que, si l'accusé s'était fait entendre, il serait peut-être parvenu à détruire ou à affaiblir les reproches dont une procédure sans contradicteurs avait armé l'opinion publique. "

C'est ce qu'avaient déjà établi en droit, dans une consultation lumineuse, trois célèbres avocats, MM. Siméon, Barlet et Portalis, portant que le président d'Entrecasteaux étant mort dans les cinq ans de sa condamnation par contumace, il était décédé integri status. "

Le meurtrier, Jean Baptiste Raymond Joseph Guillaume Bruno , né le 19 juillet 1758 à Aix, était fils de:

- Jean Paul Bruno Théodore de Bruny, marquis d'Entrecasteaux et de Saint Antonin, baron de Villeneuve, seigneur de St Livon et Président du Parlement de Provence , né le 5 Août 1728 à Aix, fils de Jean-Baptiste de Bruny, marquis d'Entrecasteaux et aussi président du Parlement, et de Dorothée de l'Estang-Parade

- et de Marie Thérèse de Castillon ( née le 11 octobre 1739 à Arles, décédée le 24 novembre 1816, à Marseille) fille de Jean Pierre de Castillon, marquis de Beynes, et de Marguerite Charlotte Félicité de Serre La Roque d' Entraigues.

Le 10 novembre 1776, à Grimaud, il avait épousé Angélique Pulchérie de Castellane, baptisée à Saint-Eustache de Paris le 20 mai 1757, filleule de Antoine-Louis Rouillé, secrétaire d'État et ministre, et fille de:

- Jean-Baptiste de Castellane

- et de Françoise-Pauline de Castellane-Norante.

Roux-Alphéran ne donna pas le nom de la maîtresse du meurtrier (ou assassin) présumé, sans doute parce qu'à cette époque, plus respectueuse de l'honneur des familles que la nôtre, trop peu de temps (62 ans) s'était écoulé depuis le drame; j'ai trouvé l'identité de la dame en question dans l'Histoire et généalogie de la maison de Castellane, publiée en 1989 par Georges Martin: il s'agissait de Sylvie de Pazery de Thorame, veuve de M. Mayol de Saint-Simon.

Est-ce parce que cette dernière était, selon M. Martin, brune et coquette, alors qu'Angélique était blonde et simple, que le drame se produisit?

Le meurtre fut-il commis à l'instigation de la maîtresse du président d'Entrecasteaux, comme l'a écrit Jean-Paul Coste?

Seule l'étude des pièces du procès permettrait, peut-être, de répondre à cette question.

Mais, sans doute, ce drame domestique eut-il, comme tant d'autres, pour causes des rancoeurs, des haines, des ressentiments qui demeureront secrets.

Jean-Louis Charvet.

 

 

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