Il est utile, pour les membres d'une profession, de connaître l'histoire de cette dernière, la façon dont elle a été exercée dans les siècles passés, et d'en tirer des enseignements.
J'ai puisé les renseignements qui suivent, ordonnés sous la forme d'un petit dictionnaire, dans le "Dictionnaire de la gendarmerie à l'usage des officiers, sous-officiers, brigadiers et
gendarmes par M. Cochet de Savigny, chef d'escadron, officier de la légion d'honneur, et M. Perrève, juge au tribunal de Neufchâtel, mis au courant de la législation par un officier supérieur de
l'arme. 37° édition. Paris. Imprimerie et librairie A. Le Normand. Ancienne maison Léautey". (Sans date, mais certainement de 1903, ou peu après).
Les gendarmes, et leurs épouses, pourront apprécier les changements qui, depuis lors, ont été apportés à leur condition. Peut-être, également, apercevront-ils des constantes de la vie militaire,
malgré le temps qui passe...
Bicyclettes.
L'instruction provisoire du 14 août 1903 énumérait ainsi qu'il suit les principaux cas dans lesquels la bicyclette était à employer:
"1° (Sans considération de distance). Tournées de communes, au cours desquelles de nombreux renseignements doivent être pris ou de nombreuses pièces remises, et pouvant retenir les hommes
trop longtemps hors de la résidence si la bicyclette n'était pas employée;
2° (En tenant compte des distances). Tournées de communes comportant un parcours total de 20 kilomètres au moins;
3° Circonstances obligeant la gendarmerie à se transporter rapidement sur le théâtre d'événements importants (crimes, sinistres, etc.), ou à poursuivre des malfaiteurs;
4° Transport du résultat des élections et, éventuellement, de l'ordre de mobilisation;
La bicyclette ne sera pas employée dans les escortes de prisonniers et dans les services pour la répression du braconnage."
Pour prévenir les agissements de gendarmes fainéants, l'instruction ajoutait:
"Il ne sera pas perdu de vue que la tournée de communes doit consister dans l'exploitation complète et méthodique d'une portion quelconque de la circonscription d'une brigade. Il ne s'agit pas de courir d'une mairie à l'autre, en choisissant exclusivement les meilleurs chemins"
(c'est moi qui souligne).
Des conseils très précis étaient donnés aux gendarmes pour l'emploi, l'entretien de leurs machines; il leur était notamment recommandé de "manger autant que possible une heure ou deux avant
de se mettre en route et éviter de boire ou manger en cours de service, à moins d'arrêts trop prolongés".
Conduite à tenir par les gendarmes dans toutes arrestations.
"Les gendarmes, dans les arrestations qu'ils opèrent, ne doivent jamais employer une rigueur qui ne serait pas nécessaire. S'ils doivent déployer toute l'énergie et le courage possible pour
s'assurer de la personne d'un prévenu ou d'un condamné, ils ne doivent plus connaître que le sentiment de l'humanité dès qu'il est en leur pouvoir. Tout mauvais traitement leur est expressément
défendu par la loi; ils doivent penser que souvent l'individu qu'ils poursuivent, qu'ils arrêtent, peut être reconnu innocent par l'autorité compétente devant laquelle il est traduit."
Ivresse.
"On doit écarter d'un homme ivre l'action immédiate du chef. Quand un gendarme est en état d'ivresse, le chef de brigade le fait coucher, sans intervenir autant que possible de sa personne.
S'il trouble l'ordre, il charge les autres gendarmes de s'en rendre maîtres et, au besoin, de le conduire en prison. La punition encourue par un homme ivre ne doit lui être notifiée qu'après que
l'état d'ivresse a totalement cessé.
L'habitude de s'enivrer, quand bien même elle n'est pas accompagnée de circonstances aggravantes, suffit pour motiver l'exclusion du corps de la gendarmerie; en conséquence, cette exclusion
peut être prononcée contre tout sous-officier, brigadier et gendarme qui, en peu d'années, a subi trois punitions pour cause d'ivrognerie."
Logement.
Le chef de brigade, responsable du maintien de l'ordre intérieur dans la caserne, devait visiter les logements des hommes mariés deux fois par mois au plus, dans l'après-midi, ceux des
célibataires (sans doute moins soigneux que leurs collègues mariés...) plus souvent, vérifier le rangement des effets, la bonne tenue des armes. Une fois par mois, revue générale durant laquelle
il s'assurait, notamment, de la propreté des vitres, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Ne pouvaient coucher ou résider dans les casernes que les parents des militaires, à condition d'en avoir obtenu l'autorisation.
Il était interdit d'introduire à l'intérieur des casernes chiens, lapins, volailles, ou autres animaux domestiques, à l'exception des chats dont la présence pouvait être nécessaire (pour faire la
chasse aux souris?).
Les sous-officiers, brigadiers et gendarmes devaient rentrer à la caserne au plus tard à onze heures en hiver et à minuit en été.
Des latrines distinctes devaient être établies pour l'un et l'autre sexe.
Mariage.
Les gendarmes étaient soumis au régime en vigueur pour tous les militaires. Officiers, sous-officiers, brigadiers et gendarmes devaient obtenir la permission de se marier du chef de légion, pour
les officiers, du conseil d'administration de leur compagnie et du chef de légion, pour les autres.
Pour les officiers, une enquête était diligentée afin de vérifier si le mariage projeté était de nature à nuire à leur indépendance d'action, quelle était la situation de la "future", celle de
ses parents, leur réputation. La circulaire du 1° octobre 1900 avait abrogé les dispositions de l'arrêté ministériel du 17 décembre 1843, qui exigeait que la future épouse ait un revenu non
viager de 1200 francs.
Pour les sous-officiers, brigadiers et gendarmes, il était prévu une enquête similaire; depuis la circulaire du 21 août 1854, aucun chiffre n'était fixé pour la dot. Il leur était recommandé de
passer un contrat de mariage.
Planton.
Chaque jour, un homme exerçait, dans chaque brigade, les fonctions de planton, en tenue de service: remise des correspondances, service de la poste aux lettres, visite des prisonniers, délivrance
des feuilles de route, courses diverses dans la localité, visite des voitures publiques, des auberges et cabarets, fermeture, chaque soir, des portes de la caserne, etc.
Primes.
Il en était versé aux gendarmes qui procédaient, notamment, aux actes suivants:
- arrestation de militaires déserteurs ou insoumis;
- arrestation de forçats ou de condamnés évadés;
- arrestation de jeunes détenus évadés des établissements pénitentiaires ou des colonies agricoles;
- arrestation en vertu de mandements de justice;
- arrestation en vertu de contrainte par corps;
- destruction d'un loup.
Punitions.
Pour les officiers: les arrêts simples, la réprimande du chef de légion, les arrêts de rigueur, les arrêts de forteresse, la réprimande du général commandant le corps d'armée.
Pour les sous-officiers, brigadiers et gendarmes: la consigne à la caserne, la consigne à la chambre, la réprimande des commandants de compagnie pour les chefs de brigade, la prison, la
réprimande des chefs de légion pour les chefs de brigade, la rétrogradation, la cassation et la réforme.
La durée des consignes variait suivant le grade.
Rapports.
Chaque commandant de brigade devait envoyer au commandant de l'arrondissement un rapport journalier, outre des rapports spéciaux, en cas d'événements extraordinaires intéressant l'ordre public.
Serment.
Reçu par les tribunaux de première instance, sa formule était la suivante:
"Je jure d'obéir à mes chefs en tout ce qui concerne le service auquel je suis appelé, et, dans l'exercice de mes fonctions, de ne faire usage de la force qui m'est confiée que pour le
maintien de l'ordre et l'exécution des lois."
Service spécial de la gendarmerie.
Des 45 missions énumérées dans cette rubrique, j'en ai retenu huit, qui permettent d'évoquer le "bon vieux temps":
"15° Saisir les dévastateurs de bois et de récoltes, les chasseurs masqués, lorsqu'ils sont pris en flagrant délit.
21° Suivant le cas, dénoncer par procès-verbal ou arrêter les individus qui, par imprudence, par négligence, par la rapidité de leurs chevaux, ou de toute autre manière, ont blessé quelqu'un
ou commis quelques dégâts sur les routes, dans les rues ou voies publiques.
23° Dénoncer à l'autorité locale ceux qui, dans les temps prescrits, auraient négligé d'écheniller.
24° En cas de nécessité, dresser procès-verbal contre ceux qui ont abandonné des coutres de charrue, pinces, barres, barreaux, échelles et autres objets, instruments ou armes dont pourraient
abuser les voleurs.
31° Surveiller les mendiants, les vagabonds et les gens sans aveu.
Demander à cet effet aux maires ou adjoints les listes des individus que les brigades doivent plus particulièrement surveiller (repris de justice, condamnés libérés, etc.)
32° Arrêter les mendiants, dans les cas et circonstances qui les rendent punissables, à la charge de les conduire sur-le-champ devant le juge de paix, pour qu'il soit statué à leur égard
conformément aux lois sur la répression de la mendicité.
44° Maintenir l'ordre lors des opérations de la commission de remonte des chevaux destinés à l'armée.
45° Prêter son concours à l'occasion du recensement des chevaux, mulets et voitures nécessaires à l'armée."
Tabac.
Comme à tout militaire, il était délivré à chaque gendarme, par application du décret du 29 juin 1853, 10 grammes de tabac à fumer par jour, au prix de 1 franc 50 le kilogramme.
Je terminerai cette brève évocation de la vie des gendarmes il y a cent ans par quelques lignes tirées de la rubrique "Conduite à tenir par les gendarmes pour opérer avec régularité et se
mettre à l'abri des reproches.", qui comporte 32 paragraphes:
"22° Ne faire aucune dette;
25° Ne découcher jamais sans autorisation;
28° Ne signer aucune plainte collective et n'enfreindre jamais l'ordre hiérarchique, en cas de réclamation;
30° N'exercer aucun commerce, métier ni profession et ne pas souffrir que leurs femmes tiennent cabaret, auberge ou café, dans la résidence où ils sont employés, soit dans la résidence, soit
même dans la circonscription de la brigade, et qu'elles n'occupent aucun emploi dont la nature puisse diminuer l'indépendance de leur mari dans l'exécution du service;
31° Ne pas acheter d'effets d'occasion sans la permission du commandant;
32° Ne se servir que d'allumettes amorphes dans la caserne."
Lorsqu'une règle est édictée, on peut supposer qu'elle est destinée à réprimer des agissements fréquents; ainsi, cette énumération de quelques prohibitions fait-elle apparaître, en creux, les
errements de certains gendarmes d'autrefois.
Jean-Louis Charvet.