Voyage en Italie.
Mai 1994.
Dans le compartiment (italien) de mon train, quatre reproductions de dessins anciens. Le dessin de Carrache: trois baigneuses ou baigneurs dans un bois, Cézanne, Locardi.
Dehors, dans le ciel, des morceaux d'arc-en-ciel rectangulaires sur fond gris, soleil blanc, nuages gris foncé.
Ventimiglia. Arrêt 1 h. Farinata 4000 lires.
Le lundi au soir. Vin BARBERA rouge (frizzante 11,5%. Tata-Tata, le snack où je dîne; très propre, carreaux grisés, miroirs dorés très oblongs sur
tous les murs donnent de l'importance à ce local situé au bord d'une route bruyante le patron ? petit gros 30 ans ? belle moustache sur corps enveloppé, le pizzaïole maigre 23 ans? assassin qui
tuera un jour le patron pour récupérer le fonds. La fille - qui- ramasse- les -miettes, sorte de cette actrice américaine dont je ne me rappelle plus le nom, ah oui! Barbara Streisand, connasse
magnifique par l'émotion qu'elle dégage. A mon entrée, 2 hommes seuls, 1 (déjà parti), genre Aiglon rouquin, petit doigt en l'air en buvant, trépignant du popotin en sortant, l'autre devant moi,
macho, normal, 35 ou 40 ans, lisant le journal, blouson rouge, pourquoi est-il là? et un couple entre deux âges, plus près du troisième, lui tout gris, cheveux, lunettes, pull, elle, évidemment
noir et or, les couleurs du faux luxe, Marseille. Puis un trio, un couple et un veuf? espèce rare, d'âge archicanonique très bien comme il faut dans leur simplicité. Et l'écriture automatique,
malgré tout contrôlée, s'arrête avec l'expresso que le patron appelle caffé.
1° dîner à Piacenza.
Qu'il est bon! un autre e il conto!
La serveuse, je ne l'avais pas remarqué, a une toque et un gilet assortis, écossais brillant et
une jupe noire. Pas plus chic tu meurs! Et c'est chic.
Du riz dans le sel.
A la place du macho, parti il y a dix minutes, vient de s'asseoir un grand jeune, genre contrôleur SNCF le visage aquilin et doux à la fois.
Addition 18.000 lires. Je vais m'en aller.
20 mai 1994. Grande statue de vierge dorée: TORTONA.
21 mai 1994.
- Les Français à Pavie (revue TICINUM 1939 XVII). Musée de Pavie MISC 8 1051. Article de G. FRANCHI en fait seulement sur la réouverture de l'Université (22 octobre 1796) qui aurait été fermée le
28 avril. Textes de proclamations, description de la cérémonie de réouverture.
- S.P. II 195. Il castello Visconteo di Pavia 1/ 1360-1920. Memorie e immagini. 1991. Reproduction de 7 gravures de la ville et du château de Pavie à l'époque napoléonienne. Le château servait
d'arsenal. En particulier plan du château par le général de division LACOMBE.
- Pavia Ambiente Storia Cultura. Comune di Pavia. Istituto geografico de Agostini. S.P. I. 79. Les troupes françaises entrent dans Pavie le 13 mai 1796. Désordres le 23 mai; les paysans obligent
la garnison française à se réfugier au château. Mais la révolte est noyée dans le sang. La République Cisalpine est fondée en 1797, Pavie devient chef-lieu du département du Ticino, puis
sous-préfecture du département dell' Olono sous la république italienne et le royaume d'Italie qui suivirent (1802-1805); entre temps, occupation des Russes du général Suverow durant la
contre-offensive anti-française.
En mai 1805, allant se faire couronner à Milan, Napoléon s'arrête à Pavie et assiste à une leçon à l'université.
14H. A la terrasse du café à côté du restaurant où je déjeune (vin blanc LUGANA 92 blanc assez bon), le patron (?) passe régulièrement en frappant le sol avec une tige en fer pour chasser les
pigeons qui, pourtant, ne sont pas si nombreux.
A la bibliothèque du château, tout à l'heure, trois grandes salles de bibliothèques et une salle de photothèque, après que j'aie demandé aux bibliothécaires s'ils avaient des livres ou documents
sur Pavie durant "l'occupation française", une bibliothécaire m'a apporté successivement les trois livres que je mentionne plus haut, et ce très aimablement.
Ceci pour aller contre la première image que j'ai vue de Pavie en y arrivant: celle d'un homme, jeune, qui, sur un ponton du Ticino, baissait son short pour montrer ses fesses aux passagers du
train dans lequel j'étais.
J'écris d'une pizzeria sur une grande place rectangulaire (au-dessous il y a un marché alimentaire couvert). Très peu de voitures dans cette ville, beaucoup de vélos montés parfois par des
hommes, jeunes ou vieux, en costume. J'ai bien choisi ma ville, universitaire et noble, bien située. La place fait un grand rectangle, est pavée principalement de petits galets, avec, de ci de
là, des lignes de pavés plus gros.
Pour moi l'Italie est toute entière là, sur cette place, une civilisation urbaine dans laquelle vivent des citoyens. La lecture du journal à laquelle je m'astreins, bien que je ne connaisse pas
bien l'italien, me le confirme. Hier, par exemple, sur le journal local, figurait la fin de la liste du dernier contingent des jeunes de Pavie; après chaque nom, sa date de naissance et son
affectation. Ainsi, de même qu'à travers les notices nécrologiques, très détaillées et pleines d'enseignements, chaque citoyen est-il en mesure de participer, comme dans un petit village, à la
vie locale, par la connaissance approfondie qu'il en a. Les faits divers sont aussi décrits avec un luxe de précisions qu'on ne trouve pas en France.
Sur la place que je vois est peut-être passé François I°, capturé aux alentours par les Espagnols en 1525.
L'histoire de la ville, d'après ce que j'en ai appris depuis hier soir, est d'une grande complexité; soumise aux Espagnols, aux Autrichiens, aux Français, voyant même des troupes russes l'occuper
durant les guerres napoléoniennes, combien de bâtards a-t-elle élevés, naturalisés par la suite, car l'annuaire du téléphone ne porte presque que des noms italiens?
Ma prochaine visite, tout à l'heure, le cimetière. Ces lieux, d'ordinaire, donnent assez fidèlement une description de la ville dont ils accueillent, pour longtemps, les citoyens.
Y trouverai-je des français de l'époque napoléonienne?
Rien de français dans ce cimetière construit en 1879, monumental, entouré de galeries voûtées abritant les tombeaux des familles les plus riches; parmi eux, deux portant, pourquoi?, des décors
égyptiens, l'un avec même des inscriptions en hiéroglyphes. Beaucoup de photos, un certain nombre datant de la fin du XIX° siècle. A l'entrée, un gardien me demande, hélas, de ne pas prendre de
photos.
Archivio di Stato, via CARDANO près S. Teodoro.
Crespelle agli spinacche, crêpes aux épinards XXX (entre crêpe et omelette fourrée aux épinards et à la brousse; farine de maïs?).
Dîner dans sorte de snack, nom plus loin, pizza au mètre marqué à l'extérieur. Ambiance familiale, tous âges confondus. Musique disco lancinante mais, ce soir, ça passe, grâce à un vin en pichet
de la maison, blanc, un peu pétillant; servent en salle deux hommes, sans doute le père et le fils, vu leur chevelure identique, blonde, bouclée comme la laine des moutons. Au bar une jeune femme
et un jeune homme. Dehors, quatre jeunes, dont 3 à queue de cheval.
21H15. Homélie du cardinal (?) archevêque de Pavie au Dôme. Messe de la veille de Pentecôte (samedi soir); deux petites hystériques n'arrêtent pas de parler et de rire. Elles sont rejointes par
deux petits garçons d'environ 13 ans, ce qui augmente leur excitation. Elles sortent, heureusement, avec eux. Plus tard, ils reviennent, accompagnés d'un gamin, sans doute tzigane, qui faisait la
manche tout à l'heure aux terrasses; le prêtre qui surveille l'entrée les fait sortir.
Voghera. Fête de Saint BEUVON?. Jour de la Pentecôte. J'y ai été attiré par un article du journal local, la Provincia Pavese, qui annonçait cette messe. San Bovo naquit au X° siècle à Noyers sur
Jabron, village de Haute Provence, et mourut à Voghera en retournant d'un pèlerinage à Rome en 986. Depuis 1986, une délégation de son village natal participe à sa fête. La cérémonie était fort
belle, animée par une chorale, très professionnelle, dirigée avec exactitude et comptant une très belle basse qui chanta un ou deux airs en soliste.
Archives de Pavie. 700 fasc. 2. Prigioneri francesi et cisalpini 1799 maggio, giugno, fasc. 3, notamment rixes entre étudiants et soldats français.
" Pavia cisalpina e napoleonica 1796/1814. Saggi et notizie da documenti inediti". Gianfranco E. de Paoli. Pavia. 1974.
Armée d'Italie.
N° 700. Le 1° pluviôse an VII, le général Laporte, chef de bataillon commandant la place aux citoyens composant la municipalité de Pavie les informe d'avoir égard à l'avenir à tout ce qui sera
signé du citoyen BOUCHARD, son secrétaire, comme de lui.
Le 26 nivôse an VII, le commissaire du pouvoir exécutif près le département d'Olono à la municipalité de Pavie: on recherche Carlo GAURIGNON, français.
Le 25 nivôse an VII, circulaire sur les émigrés français expulsés du Piémont qui pourraient se réfugier en République Cisalpine.
A la noble administration de la ville et province de Pavie. Commission
Comme le prisonnier de guerre Girard, chef de l'Etat-major de la garnison d'Ancône, s'est adressé à la Commission des échanges pour la prier de s'intéresser à ce qu'il puisse récupérer les
chevaux et équipages que son domestique lui a volés ce matin;
Comme nous nous adressons à cet effet aux commandants militaires de ces environs, nous prions la noble administration de la ville et province de Pavie de vouloir bien employer tous les moyens
qui sont en son pouvoir pour découvrir les traces du voleur, pour le faire arrêter et traduire ainsi que les chevaux au lieu de détention ici à Pavie et d'en donner avis à la susdite
commission.
Nous avons l'honneur de joindre ici le signalement de l'homme et celui des chevaux.
Pavie le 14 décembre 1799. Soussigné le baron de LEGIFFELD? Lieutenant-colonel.
Signalement. Bastien, âgé d'environ 28 ans, taille 5 pieds 1 pouce environ, piqué de la petite vérole, nez écrasé, teint bigarré et brun, vêtu en pantalon, drap bleu, chapeau rond, avec une
jument bayë, courte queue, tête brusquée, marquée au front d'une tache blanche, sellée à la hussarde, un petit cheval hongrois à tout crin, sellé d'une selle de velours cramoisy.
Mai 1799. Joseph MICHEL, français, habitant Pavie depuis plus de 2 ans, marchand de vin, souhaite continuer à habiter à Pavie et supplie la municipalité de lui accorder la "carte di sicurezza".
Pietro COLOMBETTI atteste héberger dans sa maison sa fille Thérèse, mariée à un français, François LALOUBIR, employé comme vivandier dans l'armée française, déterminé à s'établir dans cette cité
de Pavie, ne voulant pas que sa femme abandonne sa patrie. Pietro Colombetti, paroisse de St Gervais et St Protais, nella corrada delli angioli, N° 120. 3 mai 1799.
Certificat d'hébergement donné par Pietro GALLIANI? , boucher, à Girolamo SORQUET, français, boucher depuis l'entrée des français à St Joseph. 3 mai 1799.
Les nommés JULLIEN de Pertis en Provence et Pierre HUTRE (?) d'Aups en Provence, tous deux émigrés français au couvent de Ste Croix, vous supplient, messieurs, de vouloir bien leur accorder
la grâce de sortir accompagnés de M. HERBE? ou de tout autre qu'il vous plaira pour nous munir des habillements nécessaires à l'usage de ce pays.
30 avril 1799. De JOSSERAND, fils aîné, à la commune de Pavie:
J'ai l'honneur de vous faire aujourd'hui ma déclaration pour ne pas compromettre personne que je suis encore dans votre ville plein de confiance de vos fidèles sujets et de reconnaissance. Je
suis de Toulon émigré français faisant profession de foi à la religion chrétienne plein d'amour pour mon Roi et regrettant sa perte, mes biens, ma fortune dilapidée, errant pour me soustraire à
la persécution, cherchant un généreux délibérateur ou la mort. Votre très humble et soumis.
Armée d'Italie.
Egalité. Liberté.
Agence militaire.
Pavie le ..., l'an 4 de la République française une et indivisible.
Le préposé de surveillance de la province de Pavie aux officiers municipaux de Pavie.
J'ai reçu, citoyens, votre lettre au sujet des cloches et je l'ai fait parvenir tout de suite aux commissaires du gouvernement; mais quelque desire que j'eus de voir réussir les différents
objets de vos demandes, je n'augure pas que cette derniere aye le succès que vous voudriez. Je crois que les raisons qui ont décidé le gouvernement français à cette mesure ne leur permettront pas
de la révoquer; et quelque soit votre zèle pour le bon ordre, quelque soit même la sagesse de la presqu'unanimité des citoyens de cette commune, on ne peut abandonner les règles de la prudence,
en confiant à nos communs ennemis des armes dont ils pourraient abuser, pour attirer de nouveaux malheurs sur votre ville.
Je sais que l'intention du gouvernement français et de ses agents n'est point de troubler les opinions religieuses et de gêner le culte qui vous plaît mais, citoyens, vous êtes trop éclairés
pour confondre la religion avec ses accessoires. Les cloches ne sont guère ...?... ,un ornement; attaché d'abord par nécessité et ensuite par luxe et dont on peut aisément se passer en trouvant
d'autres moyens de ralliement pour les assemblées chrétiennes. L'Église a subsisté plusieurs siècles sans cloches. Les mahométans, aussi religieux que nous, n'en usent pas. Les catholiques
français qui exercent leur religion s'en passent et leur office ne s'en fait pas moins. L'essentiel de cette religion que Dieu nous adonnée est qu'on s'aime entre frères et qu'on conserve cette
union, ce désintéressement, ce respect pour le gouvernement qui seuls maintiennent la société et honorent l'être suprême. C'est par là que cette religion est vraiment divine, tout ce qui n'est
pas cela n'est que l'ouvrage des hommes et peut être retranché sans abus; souvent même ce retranchement est nécessaire, pour conserver le vrai esprit de la religion qui est l'ordre public.
Au reste, cette suppression des cloches n'empêchera point le peuple de continuer librement et tranquillement ses exercices de piété et si quelque esprit pernicieux venait à lui donner des
inquiétudes à ce sujet, je ne doute pas que vous n'emploieriez toute l'influence méritée que vous avez sur luy pour la dissiper en l'éclairant par vos proclamations.
Salut et fraternité.
Signé A.F? BAUVINAY.Non datée, mais du 1° complémentaire de l'an IV ou du 30 fructidor.
Jean-Louis Charvet.