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31 mai 2014 6 31 /05 /mai /2014 01:52

Bougie (Bejaiah) en 1835.

Le texte qui suit est tiré du Magasin pittoresque d’octobre 1835. J’ai conservé l’orthographe de l’article, par exemple Bugie pour Bougie, habitans pour habitants. Bougie fut conquise par les Français en septembre 1833.

« BUGIE, BOUGIE OU BOUDJAIAH.

De tous les territoires de la côte d'Afrique, celui de Bugie ou Boudjaiah, suivant la prononciation arabe, est un des plus importans. Situé à peu près à égale distance d'Alger et de Bone, Bugie s'offre aux marins que les vents du nord poussent à la côte. Sa rade est gracieusement courbée en forme de croissant et garantie par une chaîne de hautes montagnes. Les divers produits de l'industrie et du commerce des Kobaïles, ses habitans, se répandaient autrefois, à l'aide de sandales ou bateaux maures, dans toute la régence d'Alger. Ainsi, Bugie pourrait être le siège d'un établissement à la fois militaire, maritime et commercial.

De tels avantages ont été appréciés de tout temps. Jadis, sous le nom de Coba, Bugie fut une des plus florissantes entre ces trois cents villes qu'avaient semées sur le rivage d'Afrique les Romains, nos prédecesseurs et nos maîtres dans l'art de la colonisation. Plus de quatre mille toises de hautes murailles dont l'oeil suit encore les vestiges, attestent sa grandeur passée. - Dans les temps modernes, Bugie appela quelquefois l'attention des Européens. Au commencement du seizième siècle, les Espagnols attirés par le site, la fertilité et l'excellent mouillage de Bugie, s'en emparèrent sous la conduite de Pierre de Navarre, et lorsque Charles-Quint entreprit sa malheureuse expédition contre Alger (1541), ses vaisseaux, battus par une violente tempête, vinrent y chercher un abri. Un siècle plus tard, Louis XIV ayant donné ordre qu'on s'emparât de Gigeri, non loin de Tunis, dans le but de protéger nos pêcheurs de corail, on regretta, aussitôt que Gigeri fut pris, de ne pas lui avoir préféré la position de Bugie. Enfin cette dernière ville fut de tout temps à la régence d'Alger, ce qu'avait été l'Egypte à l'empire romain; on l'avait surnommé le grenier de l'Afrique.

Lorsque, dans ces dernières années, on se fut déterminé à réunir Bugie à nos autres possessions d'Alger, Bone, Oran, Arsew et Mostaganem, il se présenta de nombreuses difficultés. On pouvait être sûr que les Kobaïles, ennemis déclarés de toute domination étrangère, se défendraient avec courage et obstination.. La haine qu'ils nous portent s'était déjà manifestée à Bugie même dans une occasion récente. Quelque temps avant la prise, un bâtiment français était venu reconnaître la rade et avait mouillé près de terre. Deux officiers de l'armée d'Afrique eurent le courage de se faire débarquer seuls au milieu de la ville. Les Beldis (ou citadins, du mot arabe blad, qui veut dire ville), presque tous Maures ou Juifs, ne s'opposèrent point à leur entrée. Mais un espion des Kobaïles s'était empressé d'aller les prévenir. Tout à coup on vient avertir les Français que la maison où ils ont été reçus par un des principaux Beldis, va être cernée de toutes parts. L'un d'eux sort de l'habitation, et dirigeant ses deux pistolets armés contre une poignée de Kobaïles, il les interpelle dans leur langue: "Quoi! leur dit-il, vous ^n'êtes que dix et vous osez venir attaquer deux Français! Allez chercher vos compatriotes et ne revenez qu'au nombre de cent; alors la partie sera égale!" Les Kobaïles, étonnés, se retirent un instant pour délibérer sur ce qu'ils devaient faire; les deux officiers en profitent pour rejoindre leur embarcation et retourner à bord, emportant d'utiles notions topographiques sur Bugie et sur ses moyens de défense.

Nous regrettons que le défaut de place ne nous permette pas de donner quelques détails sur la prise de la ville. Il fallut presque tout un jour à la bravoure et au sang-froid de nos troupes pour triompher de la résistance acharnée des Kobaïles. Aujourd'hui encore notre puissance ne s'étend pas au-delà des fortifications, et nos ennemis ne perdent aucune occasion de renouveler leurs dangereuses attaques.

Les maisons sont à Alger d'une blancheur éblouissante; mais à Bugie, construites simplement en briques, sans aucun enduit de chaux sur les parois extérieures, elles apparaissent de loin avec la teinte brune des habitations européennes. Les toits plats ont également disparu. Chacune d'elles est entourée d'une plantation d'orangers, d'oliviers, de citronniers et d'autres arbres du pays. Vu de la mer, cet ensemble de constructions et de massifs de verdure présente un coup d'œil ravissant. On croirait avoir sous les yeux quelque délicieux village d'Italie. Les canots viennent aborder auprès de l'ancienne porte de la Marine, qui, dégagée des fortifications où elle était autrefois enclavée, est restée debout sur le rivage comme un arc de triomphe.

Quinze jours après la prise, c'était un étrange spectacle que celui de Bugie. Les rues étaient encore couvertes de débris; à peine tous les cadavres avaient-ils disparu. Plusieurs maisons avaient été incendiées pendant le combat; toutes avaient perdu leurs clôtures; et c'est là qu'il fallait camper pendant les nuits d'Afrique, si froides et si meurtrières. Le général en chef, blessé à la jambe, était étendu sur un matelas sous une espèce de hangar. Les indigènes avaient fui, emportant tout ce qu'ils possédaient. La ville entière était devenue une caserne. On éprouvait une curiosité mêlée d'effroi, à parcourir les demeures muettes et désertes des anciens habitans. Au lieu des objets précieux que la haute réputation de Bugie avait fait espérer aux soldats, on ne trouvait là qu'un peu de blé dans les amphores en terre rouge, exactement semblables aux urnes romaines, ou des ustensiles servant à la fabrication des tissus, profession très répandue à Bugie comme dans tout l'Orient. Au reste, chacune de ces habitations ou plutôt de ces ruines, était déjà numérotée exactement comme à Paris, et les noms des rues grossièrement charbonnés sur les murailles.

Bugie est dominé par le Gourayah, véritable nid d'aigle qui s'élève à 600 et quelques toises au-dessus du niveau de la mer. La pente est fort raide, et, du bas de la montagne, il semble impossible de jamais arriver au sommet. Cependant nous entreprîmes de rude pèlerinage; il fallut s'accrocher aux broussailles et s'aider à la fois des pieds et des mains en suivant la direction d'une ancienne fortification que les Romains ont eu la persévérance de construire sur ce revers inaccessible. Nous n'atteignîmes qu'au bout de trois heures le plateau du Gourayah, qui de loin semble plus aigu que la pointe d'une pyramide. Souvent uèn terrain fraîchement remué indiquait la sépulture d'un Kobaïle tué dans le cours d'une des actions récentes. Les Kobaïles et les Musulmans, en général, professent la plus grande vénération pour les morts. Ils affrontent le danger et sacrifient souvent leur vie pour ne pas laisser sur le champ de bataille les cadavres de leurs compatriotes. A ceux qu'ils n'avaient pu enlever et enterrer au sein de leur tribu, ils avaient donné le roc pour tombeau! - Le point culminant de la montagne est une étroite plate-forme couronnée par une enceinte de retranchemens, sur laquelle est établi un poste français. Deux hommes déterminés pourraient défendre cette position contre une armée entière, et cependant nos soldats y sont parvenus à la faveur d'une nuit obscure et sans essuyer de pertes. - Un ancien marabout leur sert de casernement; car ce lieu était autrefois un ermitage habité par un pieux Musulman qui passait là sa vie à contempler les œuvres de Dieu. »

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