Extrait de l'article:
Les ports du Maroc. Leur commerce avec la France. Par A.-H. Dyé.
paru dans:
Bulletin de la Société de géographie commerciale. 1908.
" AGADIR. - La situation géographique de ce point est complètement différente, et le port fermé d'Agadir, situé à une heure de marche au Nord de l'oued Soûs, est susceptible de prendre un jour une notable importance. Agadir n'est constituée aujourd'hui que par une citadelle, couronnant les derniers contreforts du Haut-Atlas, et dominant un misérable village de pêcheurs berbères (Founti). Fondé par les Portugais, ce port fut prospère jusqu'au XVIII° siècle, lorsqu'en 1776 il fut fermé par le sultan au moment de la création de Mogador, pour punir les rebelles du Soûs.
Depuis cette époque les caravanes de chameaux des laborieux Soûssi, et toutes celles vers l'oued Draa et le Sahara marocain, doivent atteindre la mer à Agadir, puis, regardant à peine ses plages frappées d'interdiction, remonter vers le Nord la route pénible et montagneuse qui mène en plusieurs étapes à Mogador. On voit combien cette voie de transit est coûteuse et anormale, tandis qu'il serait simple de charger sur les vaisseaux de mer grâce aux barcasses d'Agadir! Ce point est le débouché naturel du Soûs et du Sahara marocain, dont le commerce d'exportation et d'importation semble s'élever à 6 ou 8 millions par an. Si toutes les espérances que l'on fonde sur les richesses minières du Soûs et de l'Anti-Atlas sont quelque peu fondées, Agadir peut éventuellement prendre une très notable importance et grandir soudainement à l'exemple des ports du Sud tunisien.
La rade foraine d'Agadir, trop vantée par quelques auteurs, présente cependant des conditions nautiques plutôt favorables. D'une façon générale elle est orientée comme celle de Safi, ouverte aux vents de Sud-Ouest, protégée contre les brises de Nord et d'Est. Les fonds décroissent rapidement et très régulièrement. Si l'on crée un jour de toutes pièces un port artificiel à Agadir (car il n'existe rien qui puisse faire songer à un port naturel), les travaux maritimes auront beaucoup d'analogie avec ceux qui existeront avant quelques années à Safi.
Telle est la sitution d'Agadir: une bourgade misérable dans le présent, mais riche pour l'avenir d'espérances et de possibilités, qui tendront à détourner partiellement les courants commerciaux du port de Mogador.
Le cap Juby et les rivages sahariens.
Le mouillage du cap Juby est le point extrême du Sahara marocain qui soit occupé par un poste du makhzen. Il y avait là, il y a environ trente ans, un établissement fondé par des commerçants anglais qui essayèrent sans succès d'y créer une tête de ligne pour le départ des caravanes sahariennes. Ces établissements du cap Juby furent vendus au sultan du Maroc, qui donne l'investiture aux caïds des tribus voisines, et qui ravitaille le poste du makhzen à l'aide de petits vapeurs affrétés partant de Mogador.
Au point de vue commercial et maritime, tous les rivages de confins sahariens du Maroc, depuis Agadir jusqu'au cap Juby et jusqu'aux possessions espagnoles du Rio de Ouro, ne présentent aucun intérêt. Ce sont des pays pauvres où les productions locales sont à peu près nulles. Le mouvement des caravanes, jadis alimenté surtout par le trafic des esclaves, est aujourd'hui tari et coupé dans ses racines: 1° par l'abolition de la traite dans le pays des Noirs, au Sénégal et au Soudan; 2° par la facilité de ravitaillement de la Mauritanie nigérienne à l'aide des fleuves et des chemins de fer aboutissant à Saint-Louis et à Dakar.
Le Sahara marocain comprend les provinces de l'Oued-Nouon et des Tekna, les oasis de l'oued Draa et de la Saguiet-el-Hamra. Les baies de la côte furent visitées en 1883 par une commission hispano-marocaine, qui rechercha vainement les ruines de l'ancien port espagnol de Santa-Cruz de Mar Pequena. Deux petites baies sont à signaler, à peine propres au mouillage de très faibles bateaux: ce sont Sidi-Mohamed-ben-Abdallah et l'oued Assaka.
Dans les dernières années la Saguiet-el-Hamra et le pays de Tarfaya, situés aux environs du cap Juby, sont devenus un foyer d'agitation religieuse et xénophobe sous l'influence du vieux marabout Mâ-el-Aïnin, qui allait chaque année à Fez et à Marrakech pour se ravitailler en armes, en munitions et en argent, destinés à combattre les troupes françaises du Sénégal. Tous ces Sahariens, vêtus de guinée bleue et généralement voilés comme les Touareg, sont désignés par les Marocains sous le nom d'"hommes bleus"; pour eux, la contrebande de guerre a remplacé la traite des esclaves noirs, et surtout celle des jeunes négresses qui sont vendues publiquement au Maroc dans les villes où il n'y a pas d'Européens. Les difficultés rencontrées par la France en Mauritanie depuis quelques années, la résistance des Maures dissidents qui a causé l'assassinat de M. Coppolani et les combats sanglants de Tidjikja sont en grande partie le résultat des prédications, des excitations et des apports d'armes effectués par le marabout Mâ-el-Aïnin et le chérif Moulaye Idris.
Aussi est-il devenu nécessaire, au point de vue politique, de surveiller ce qui se passe au cap de Juby. Il est à souhaiter que la France et l'Espagne s'entendent pour y arrêter efficacement la contrebande vers leurs possessions sahariennes."