Daumier: les pièces à conviction.
L'Histoire! Cette compilation incertaine de notre fugitive apparition sur ce globe de sang et de boue! L'Histoire! que nous pouvons à peine écrire quand nous en sommes les contemporains; nous qui voulons citer les siècles dans nos pages mensongères; nous qui voulons deviner les mystères de la nature, et le dernier secret de Celui qui l'a créée!!! Et nous mettrions de l'importance à quelque chose, nous qui sommes nés d'hier, qui mourrons demain, nous qui foulons une terre qui périra comme nous? et qui écrivons quelques pages de notre histoire; tandis que toutes les pages de la vie sont déchirées, que le grand livre de l'univers sera lui-même effacé, et qu'il ne restera plus que l'immensité du néant!
Comment expliquer l'attrait qui nous pousse à laisser un souvenir sur des débris et parmi des ruines? L'homme a donc un penchant à disputer quelques dépouilles à la mort, à déposer quelques traces de lui-même, à propager des pensées qui furent contemporaines de son passage dans la vie? Il espère que ses écrits lui survivront de quelques jours: il aime à lutter avec le néant.
Comte Alexandre de Tilly, page de la reine Marie-Antoinette.
J'ai acquis récemment un album comportant (pages de couverture comprises) 28 illustrations sur l'Ecole libre Saint-Joseph d'Avignon durant l'année scolaire 1911-1912. J'en présente ici une sélection (ou des détails de certaines d'entre elles). On ne peut qu'être ému en voyant ces enfants, ces adolescents, dont certains, peu d'années plus tard, devaient mourir au champ d'honneur.
Résumé de la conférence que j'ai donnée le 5 juin 2013 à l'Académie de Vaucluse:
Miracles? supercheries? L'affaire Rose Tamisier. Saignon, Saint-Saturnin-lès-Apt, 1850 - 1851. Par Jean-Louis Charvet.
Il est, au pays d'Apt, un village qui aurait pu avoir le destin que connaîtrait Lourdes, quelques années plus tard. A Saint-Saturnin-lès-Apt, il y avait en 1850 une auberge tenue par une dame Jean, qui y accueillait souvent une parente par alliance, Rose Tamisier, habitant d'ordinaire Saignon. Célibataire, âgée de 34 ans, Rose, dite Rosette, avait une santé déficiente. Le 10 novembre 1850, alors qu'elle priait dans la chapelle dite du calvaire, ou du château, elle vit du sang couler des plaies du Christ figuré sur une pietà surmontant l'autel.
Rose était née le 7 septembre 1816 à Saignon de parents cultivateurs. Elle apprit à lire et à écrire, fut institutrice dans son village natal, puis fit une expérience de la vie religieuse, d'abord à Saignon, dans l'hôpital tenu par des religieuses de la Présentation, puis à Salon, dans une maison du même Ordre. Selon certains témoignages, sa vie avait été émaillée, dès l’enfance, de petits prodiges, dont on peut sourire. Des faits moins dérisoires se produisirent, à ses dires: des anges, ou une main inconnue, lui apportaient des hosties consacrées, avec lesquelles elle communiait, son corps se couvrait de stigmates.
Le tableau "saigna" à 6 reprises, entre le 10 novembre 1850 et le 5 février 1851. De très nombreuses personnes affluèrent au village. Mgr Debelay, archevêque d'Avignon, y arriva le 19 décembre; au matin du 20, à contrecœur, il accepta que Rose entrât seule dans la chapelle. L’événement attendu se produisit; le sous-préfet recueillit du liquide rouge sur un mouchoir, et, au grand mécontentement de l'archevêque, s'écria que le prodige venait de se renouveler. Le prélat fit desceller le tableau, qui était intact, tant à l'avers qu'au revers, puis célébra une messe à l'église du village ; il prêcha, de façon prudente, sur les miracles. Il s'entretint ensuite avec Rosette, puis, de retour à Avignon, nomma une commission ; ses membres arrivèrent à Apt le 20 janvier 1851. Le 24 ladite commission rendit ses conclusions ; elle estimait qu’il n’y avait pas eu miracle, et disait adresser un rapport détaillé de ses investigations. Personne n'a pu voir ce rapport détaillé, et pour cause : ainsi que j’ai pu l’établir, ce rapport n’a jamais été rédigé.
Le 1° février 1851, le procureur de la République d'Apt demanda à l'archevêché d'Avignon de lui communiquer les déclarations recueillies lors de l'enquête religieuse. Ceci lui fut refusé. Le juge d'instruction, désigné le 7, entendit Rose le 8. L’examen médical de cette dernière fut ordonné. Le 13 du même mois, Rose fut arrêtée. Le 5 juillet suivant, le tribunal d'Apt, estimant que les délits d'outrage et d'escroquerie n'étaient pas constitués, faute d'élément intentionnel, renvoyait Rosette devant le tribunal correctionnel pour vol d'hosties; le parquet fit appel. Le 29 juillet intervint l'arrêt de la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Nîmes : Rosette était renvoyée devant le tribunal correctionnel de Carpentras pour outrages à des objets du culte : avoir pris l'hostie de la custode à Saignon, et "barbouillé" le tableau de Saint Saturnin.
Le procès débuta le 1° septembre; le tribunal entendit 39 témoins et, au terme de trois jours de débats, se déclara incompétent, estimant que les faits relevaient de la compétence de la cour d'assises. Le parquet fit appel.
La cour d'appel de Nîmes siégea les 6 et 7 novembre 1851. Rose, malgré ses dénégations, fut déclarée coupable et condamnée à 6 mois de prison (maximum de la peine encourue), et 16 francs d'amende. La durée de la détention provisoire ne s'imputait pas alors sur celle de la peine. En outre, Rose, n'ayant pu payer les frais de justice, subit la contrainte par corps, et ne fut donc libérée que le 3 décembre 1852, au bénéfice d'un décret collectif de grâce de Louis Napoléon Bonaparte, tout nouveau Empereur des Français. Elle avait effectué plus de 21 mois de détention.
J’ai pu établir qu’elle avait signé (en quelle année, je ne le sais) la déclaration suivante : « 14 Janvier. Je me soumets simplement et sans restriction à tout ce que la commission nommée par Mgr l'archevêque a décidé en janvier1851 au sujet des événements de St Saturnin Les Apt, auxquels j'ai pris part. Signé rosette tamisier «
Ceci, à mon sens, ne peut constituer des aveux circonstanciés. L’Eglise s’en contenta. Rose fut autorisée à communier de nouveau ; elle mourut le 23 février 1899 à Saignon, après avoir reçu les derniers sacrements.