L’esclavage n’a pas été, loin de là, une pratique réservée aux Européens au préjudice des Noirs. De l’Antiquité gréco-romaine au monde d’aujourd’hui, il a été pratiqué par de très nombreux peuples. L’Organisation internationale du travail estime à 21 millions le nombre d’êtres humains asservis en 2014. Les barbaresques de Tripoli (Lybie), Tunis et Alger en tirèrent d’importants revenus jusqu’au XIX° siècle. On parle de plus en plus de l’esclavage au profit des musulmans, en Afrique, dans l’Empire ottoman, etc… Ce n’est que justice, mais le fait que les Occidentaux n’ont pas été les seuls esclavagistes ne saurait diminuer leur responsabilité à ce sujet, et celle, également, des rois ou chefs africains qui tiraient profit de ce commerce infâme.
Nombreux sont les textes racontant des anecdotes sur l’esclavage. Celles qui suivent sont tirées de : Education par l’histoire, ou école des jeunes gens... Paris. Haut Cœur et Gayet. 1824. J’ai conservé l’orthographe et la ponctuation originales. On ne s’étonnera donc pas de lire enfans pour enfants, présens pour présents, etc...
Jean-Louis Charvet
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Texte 1.
« Traits de reconnaissance du Chevalier de Pontis.
Le chevalier de Pontis, frère de celui qui nous a laissé des Mémoires sur sa vie, fut pris, en faisant ses caravanes, par un pirate qui le conduisit à Alger, et qui le vendit à un Turc plus généreux ou moins barbare que ses compatriotes. Après deux ans d’une servitude fort douce, il fait venir le chevalier : « Vous m’avez servi, lui dit-il, en homme d’honneur, et non en esclave ; et moi, je cesse d’être votre maître pour devenir votre ami. Soyez libre ; retournez dans votre patrie ; mais emportez du moins quelque gage de ma reconnaissance, et demandez-moi tout ce que vous désirez. » Le chevalier, pénétré d’estime pour cet homme généreux, ne voulut accepter que l’argent nécessaire pour son voyage, et il retourna à Marseille.
Quelques années après, se promenant sur le port de cette ville, il voit aborder un vaisseau étranger ; des soldats en sortent, et traînent après eux des esclaves musulmans. Le souvenir de sa servitude intéresse Pontis au sort de ces infortunés ; il s’approche et les examine. Quel fut son étonnement, lorsque parmi eux il reconnut son ancien maître ! il perce la foule des soldats, court à lui et l’embrasse avec des larmes de joie : « Si j’ai revu ma famille, lui dit-il, je le dois à vos bienfaits ; retournez au sein de la vôtre, et apprenez qu’une bonne action n’est jamais perdue, et qu’un Français n’est pas fait pour se laisser vaincre en générosité par un autre homme, de quelque nation qu’il puisse être. » Pontis demande à qui appartient l’esclave ; il s’informe du prix de sa rançon, et la paie à l’instant sans marchander ; ensuite il le conduit dans sa maison, le comble de caresses, et le renvoie chargé de présens. »
Texte 2.
« Nicolas Compian.
Ce nom volerait de bouche en bouche, si celui qui le porte était né à Sparte, à Rome ; mais il était Français, et à peine les Français le connaissent-ils.
C’est vers la fin du dix-septième siècle que cet homme, digne de nos hommages, s’étant embarqué sur un navire marseillais pour aller en Egypte, eut le malheur d’être fait esclave par un corsaire de Tripoli. Ce corsaire, qui était sensible, parce qu’il n’avait pas toujours été riche, traitait son esclave avec humanité ; mais Compian n’en déplorait pas moins la perte d’un bien sans lequel les autres n’ont pas de prix, la liberté. Chaque jour le souvenir de sa patrie lui arrachait des larmes. Il y avait laissé une famille qu’il chérissait ; c’était pour elle qu’il allait chercher fortune en Egypte. Sa profonde tristesse toucha son maître, assez sensé pour savoir que la nature n’a point fait d’esclave. Un jour il l’appelle, et le traitant en ami malheureux, il lui dit : « Donne-moi ta parole d’honneur de revenir, et je te laisse aller à Marseille revoir ta famille et arranger tes affaires. » L’esclave ayant juré qu’il reviendrait, son maître ajouta : « Va donc ; que ton Dieu te conduise et te ramène en bonne santé. »
Compian part, il a des ailes ; sa patrie était encore bien loin, et il la voyait déjà. Enfin il se trouve dans les bras de ses parens, qui l’embrassent et qui pleurent, car la joie a aussi ses larmes. Deux mois s’écoulent au sein du bonheur. Mais il n’a pas perdu de vue l’engagement sacré. Victime muette, il se dérobe à la tendresse de ses frères, et avec la probité de Régulus, il court reprendre ses chaînes.
Son retour étonne le corsaire. Dans ce moment il disputait à la mort la plus belle et la plus fidèle des femmes : « Chrétien, lui dit-il, tu viens à propos, la mère de mes enfans est près d’expirer ; je suis dans la douleur ; prie, prie ton Dieu pour elle et pour moi ; car les prières d’un homme de bien doivent le toucher. » Compian tombe à genoux ; et, mêlant ses vœux à ceux du Musulman, il obtint du ciel la guérison de la belle Tripolitaine.
La convalescence d’une bonne mère est un jour de fête, et le signal de la joie devrait toujours être un bienfait : - « Ecoute-moi, dit le maître à son esclave, en lui serrant la main, ne nous affligeons plus, elle vit ; tu as partagé mes peines, que ne puis-je, en reconnaissance, t’associer à notre bonheur ! J’ai une fille qui pourrait m’acquitter, mais la religion... Ecoute, te dis-je ; ne m’interromps pas par des remerciemens, lorsque je n’ai encore rien fait. Il est un bien que tu désires, c’est la liberté ; je te la donne. Sois libre. Mais c’est peu pour moi. Un vaisseau chargé de grains t’attend au port ; pars, puisque la Providence veut que tu me quittes : ne va pas au moins les mains vides rejoindre tes parens ; soyez tous mes amis comme je suis le tien... » »