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11 mai 2010 2 11 /05 /mai /2010 02:10

 

Frédéric Mistral, écolier et étudiant.

Frédéric Mistral, né le 8 septembre 1830 au Mas du Juge à Maillane, d'un couple de paysans, passa les huit premières années de sa vie dans la plus parfaite insouciance (l'école n'était alors ni obligatoire, ni laïque, ni républicaine), participant aux travaux de ses parents, fréquentant laboureurs, faucheurs et pâtres, écoutant les adultes lui raconter les heures sombres de la Révolution, les aventures des soldats de l'Empire; son père n'avait lu dans sa vie que trois livres, mais d'importance: le Nouveau Testament, l'Imitation de Jésus Christ et Don Quichotte ; il se pénétrait des légendes, des traditions de cette Provence dont il devait devenir le chantre le plus célèbre.

Vers l'âge de huit ans, il fut envoyé à l'école; il n'y fut pas très assidu; il fit même un plantié, une escapade loin de la maison paternelle; ses parents, s'étant concertés, dirent: Faut l'enfermer. Ils le conduisirent en 1839 à Saint Michel de Frigolet, monastère alors en ruines, où un vieux célibataire de Cavaillon, M. Donnat, avait fondé un pensionnat de garçons; il recrutait ses élèves dans les campagnes, acceptant bien souvent que leurs parents paient le montant de la pension en nature: blé, huile, vin, etc. Le personnel enseignant comptait , outre le directeur, deux ou trois anciens séminaristes, un bossu, M. Lavigne, professeur de musique; M. Talon, prêtre chassé d'Avignon à cause de son penchant trop marqué pour la boisson, était l'aumônier de l'établissement, dans lequel Frédéric passa deux années scolaires.

En 1841, ses parents le confièrent à M. Millet, qui tenait pension rue Pétramale à Avignon ; l'enfant goûta peu cette nouvelle existence; la ville lui apparaissait triste, entourée de fossés puants, peuplée de portefaix brutaux, d'innombrables invalides "vénérables débris des vieilles guerres, borgnes, boiteux, manchots, qui, de leurs jambes de bois, martelaient, à pas comptés, les pavés pointus des rues". Frédéric voyait également, sans doute avec quelque effroi, un pénitent noir, cagoulé, passer chaque semaine pour quêter en faveur des pauvres prisonniers.

Le pensionnat de M. Millet était situé dans l'îlot de maisons où s'élevait autrefois le couvent Sainte Claire, lieu de la rencontre de Pétrarque et de Laure de Sade, le 6 avril 1327; aux alentours, des ruelles aux noms étranges: du Petit Paradis, de l'Eau de Vie, du Chat, du Coq, du Diable; les petits savoyards, ramoneurs ou décrotteurs, craignaient de s'aventurer dans la rue des Études, où se trouvaient autrefois l'Université et l'École de médecine: une légende tenace voulait que des étudiants attrapaient, jadis, des petits vagabonds pour les écorcher et étudier leurs cadavres.

M. Millet, fils d'agriculteurs, faisait goûter au jeune Frédéric les beautés de la langue provençale, alors généralement méprisée; il racontait en outre les conversations politiques qu'il tenait au café Baretta; les ressentiments étaient encore vifs entre partisans de la République et royalistes, légitimistes et orléanistes: on se lançait au visage le massacre de la Glacière, Jourdan Coupe-Têtes, les religieuses martyres d'Orange, l'assassinat du maréchal Brune.

Avant de faire sa communion à Saint Didier, Frédéric s'y prépara en suivant les enseignements ad hoc ; c'est là qu'il devint amoureux pour la première fois: elle s'asseyait à côté de lui, ils se touchaient du coude, se parlaient à l'oreille; elle s'appelait Mademoiselle Praxède et habitait rue des Lices; hélas! ses parents l'envoyèrent au couvent; Frédéric en eut un chagrin extrême; il dépérit; pour le guérir de cette langueur, sa mère le conduisit en septembre au pèlerinage de Saint Gens à Monteux.

A la rentrée scolaire de 1843, Frédéric entra au collège royal, tout en restant pensionnaire chez M. Millet. Ses maîtres étaient, suivant son expression, des "vieux barbons": parmi eux, M. Monbet qui "conservait sur sa cheminée, dans un bocal d'eau-de-vie, un foetus de sa femme".

Une année, dans la chapelle du collège, il reçut tous les prix, y compris le prix d'excellence; sa mère conservait ses couronnes de lauriers et les mettait sur la cheminée, au mas du Juge.

Peu avant les vacances de 1845, il fit une fugue, voulant se rendre à la chartreuse de Valbonne; il désirait se sanctifier, comme Saint Gens, qui avait quitté sa famille à l'âge de 15 ans; mais, en chemin, il décida d'aller à Maillane dire au revoir à ses parents.

Ces derniers le firent reconduire chez M. Millet; à la rentrée scolaire, ils le confièrent à M. Dupuy, qui tenait une autre pension, au quartier du Pont Troué; c'est là qu'il fit la connaissance d'un professeur, de douze ans son aîné, Joseph Roumanille; ce dernier le surprit en train de traduire en provençal l'un des Psaumes de la Pénitence à l'église des Carmes; de là naquit une profonde et longue amitié entre les deux jeunes gens. Il se lia également particulièrement avec Anselme Mathieu; ainsi étaient réunis, dans cette pension, trois des futurs fondateurs du Félibrige.

Le 18 août 1847, à Nîmes, il passa avec succès les épreuves du baccalauréat.

Frédéric Mistral occupa ensuite une année à Maillane à "baver à la chouette ou à la lune", si on l'en croit. En fait, il lisait, notait tout ce qu'il entendait sur les légendes, les traditions de son pays, amassant son "petit trésor". Il collectionnait les mots, les expressions, les proverbes. Il commençait à écrire.

Au début de novembre 1848, ses parents l'envoyèrent à Aix faire des études de droit, alors les plus recherchées par les familles désirant assurer un brillant avenir à leurs fils; sans doute espéraient-ils que Frédéric deviendrait avocat, ou notaire...

Il se logea au 8 de la rue Sainte Claire, près de la prison, dans une modeste chambre. Il prenait ses repas à l'auberge de Marius Decard, ou réfectoire de la Fourmi laborieuse, restaurant économique pour étudiants.

La municipalité commençait alors à démolir les remparts multi-séculaires d'Aix, malgré une forte opposition. Sur le Cours, on remplaçait les ormeaux, malades, par une espèce alors peu courante en Provence, le platane, introduit d'Amérique du Nord au XVII° siècle. Aix, déjà, changeait...

Dans ses Mémoires et récits, Mistral ne parle pas du tout de ses études supérieures. Nul doute qu'il n'envisageait nullement de devenir un serviteur de Thémis. Il trouva à Aix un terrain favorable pour approfondir sa culture provençale. Dans cette ville, qu'on appelait alors l'Athènes du Midi, les magistrats, les avocats, les notables ne rougissaient pas de parler la langue de leurs pères; M. Toussaint Joseph Borély, qui avait été successivement conseiller-auditeur à la Cour d'Aix, vice-président au tribunal de première instance de Marseille et procureur général près la Cour royale d'Aix, conduisait en ville, monté sur un cheval, un troupeau de porcs anglais; sur son passage, les gens disaient: N'est pas porcher celui qui conduit ses porcs lui-même.

En bon catholique, il fréquentait les églises de la ville: à Saint Sauveur, il prenait plaisir à entendre des chants en provençal, notamment la Marche des Rois; au Saint Esprit, des dames de la noblesse venaient encore en chaises à porteurs, accompagnées de torches, entendre les prônes provençaux de l'abbé Emery.

Il assistait à la pittoresque procession de la Fête-Dieu, avec son Roi de la Basoche, son Abbé de la Jeunesse, les Tirassons, les Diables, le Guet, la Reine de Saba, les Chevaux-Frus.

Il faisait avec ses amis des excursions au pont de l'Arc, au Tholonet; dans le vallon des Infernets, les étudiants organisaient des duels avec des pistolets chargés de crottes de chèvre.

Comme les autres, imitant les escholiers du temps des papes d'Avignon et de la Reine Jeanne, il courtisait les filles.

Son ami Anselme Mathieu, également étudiant en droit, recherchait les faveurs de l'une "des plus belles dames de la rue des Nobles, une baronne de trente ans, mariée, la pauvrette, à un vieux barbon d'homme qui est juge à la Cour et jaloux comme un Turc".

Parallèlement à ses études, Frédéric, abonné au cabinet de lecture de M. Lollice, rue Papassaudi, lisait moult livres de Victor Hugo, d'Eugène Sue, de Walter Scott. Il fréquentait aussi la bibliothèque Méjanes.

Mistral écrivit à Aix un certain nombre d' oeuvres, Amertume, le Mistral, Une course de taureaux, ainsi qu' un "Bonjour à tous" qui contenait les vers suivants:

 

 Nous trouvâmes dans les berges

Revêtue d'un méchant haillon

La langue provençale:

En allant paître les brebis

La chaleur avait bruni sa peau,


La pauvre n’avait que ses longs cheveux
Pour couvrir ses épaules.
Et voilà que des jeunes hommes,
En vaguant par là
Et la voyant si belle,
Se sentirent émus.
Qu’ils soient donc les bienvenus,
Car ils l’ont vêtue dûment
Comme une demoiselle.

 

En 1851, il soutint sa thèse de licence; les sujets en étaient les suivants:

- droit romain: de peculio;

- droit civil: de l'extinction des privilèges et des hypothèques et de la purge;

- droit commercial: des navires et de leur nature;

- procédure civile: de la compétence des juges de paix;

- droit administratif: de l'autorité administrative en général.

Il ne fut jamais notaire, ni avocat, ni juge de paix...

Trois ans plus tard, avec Roumanille, Brunet, Mathieu, Aubanel, Giéra et Tavan, il fondait le Félibrige.

Et en 1859, âgé de 28 ans, il publiait son chef d'oeuvre, Mireille, chez François Seguin, imprimeur à Avignon.

J'ai consulté, pour écrire ce texte:

Frédéric Mistral. Mémoires et récits. Préface de Jacques-Henry Bornecque. Illustrations de L. Schulz. Julliard. 1979.

Jean-Paul Clébert. Mistral ou l'empire du soleil. Première époque. 1830-1860. J.C. Lattès. 1983.

Mireille Bosqui. Mistral. Préface de Sylvain Gagnière. Lieux et figures du Sud. Equinoxe. 30320. Marguerittes. 1994.

Jean-Louis Charvet, Avignon, avril 2006.

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commentaires

M
bonjour<br /> étant de Caderousse, je recherche le prénom et la date de naissance de M.MILLET qui a accueilli Mistral<br /> merci<br /> jean paul MASSE
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C
bonjour, je ne peux vous renseigner pour l'instant, mais si je trouve quelque chose, je vous contacterai

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