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18 janvier 2013 5 18 /01 /janvier /2013 18:07

La peine de la cale dans l’ancienne marine.

Ceux qui, comme moi, s’intéressent à l’histoire de la marine, savent qu’il existait dans l’ancien droit français  une peine appelée la cale ; on n’en trouve que peu de descriptions aussi détaillées que celle que je donne ci-dessous (orthographe et ponctuation de l’époque conservées), tirée d’un article du Journal du Havre, repris dans le journal Le Pirate (1829-1830) ; cette peine fut abolie en 1848.

En supplément, un texte, tiré de du Dictionnaire de la conversation et de la lecture, tome I (1833) sur la peine de la bouline. 

Jean-Louis Charvet.

« Une punition à laquelle les matelots insubordonnés sont rarement soumis aujourd’hui, a été infligée dernièrement à deux marins du commerce, dans une de nos colonies.

Ces deux matelots, qui faisaient partie de l’équipage du trois-mâts le Félix, de Marseille, mouillé en rade de Saint-Pierre-Martinique, avaient frappé un de leurs officiers. Une plainte fut dressée aussitôt contre ces hommes, et portée au commandant de la frégate la Nymphe, qui se trouvait alors en station à Saint-Pierre. Un conseil de guerre fut convoqué : des capitaines au long cours, appartenant au port du Havre, furent appelés à en faire partie. Ce jury, écartant les circonstances les plus aggravantes de la plainte, ne condamna les accusés que pour le délit de désobéissance envers un de leurs chefs dans l’exercice de ses fonctions, et il appliqua aux coupables les dispositions des lois en vigueur dans les cas semblables, à bord des bâtimens de l’Etat, en se fondant sans doute sur les dispositions qui assimilent les délits contre la subordination, à bord des bâtimens de commerce, à ceux commis à bord des bâtimens de guerre . Les prévenus furent condamnés à recevoir deux coups de cale.

Deux jours après le jugement, la frégate la Nymphe appela à l’ordre les embarcations des bâtimens marchands avec quatre hommes et un officier dans chaque canot. Bientôt les embarcations furent rangées par ordre du lieutenant de garde, autour de la frégate et à une assez petite distance pour que les hommes qui les montaient, pussent voir l’exécution qui se préparait. Ensuite, au coup de sifflet du maître d’équipage, tout l’équipage de la frégate monta sur le pont et se rangea tribord et babord dans l’ordre le plus parfait : un détachement parut sous les armes, et les deux coupables, placés entre quatre fusiliers, s’avancèrent, dans l’attitude de la consternation, vers la partie du navire où ils devaient recevoir leur châtiment. Les tambours, comme aux jours deuil, accompagnèrent cette marche d’un roulement qui ne cessa que lorsque le commissaire s’arrêta au pied du grand mât pour lire, au milieu du plus profond silence, le jugement qui allait être exécuté. Après cette formalité, deux quartiers-maîtres s’emparent de chacun des deux coupables, leur lient les mains au-dessus de la tête : leurs pieds sont amarrés sur un cabillot (un bout de bois), fixé sur la corde ou le cartahu qui doit enlever les condamnés au bout de la grande vergue, et de là les laisser tomber dans la mer avec le poids d’un boulet amarré au-dessous du cabillot. Tout est prêt pour l’exécution. L’officier de garde donne le signal : le pavillon de justice est hissé et flotte au haut du mât de misaine ; un coup de canon part et va annoncer à la rade le châtiment terrible. Trente matelots, rangés sur le cartahu, enlèvent avec rapidité les coupables qu’on voit presque au même instant suspendus au bout de la grande vergue. Le cartahu est largué alors : ils tombent dans la mer : on les en retire pour y être plongés une seconde fois : leurs gémissemens seuls interrompent le silence de cette scène imposante. Les deux patiens sont ensuite arrachés à l’appareil où ils avaient été amarrés. On les transporte presque mourans au poste du chirurgien. Le roulement du tambour annonce que l’exécution est finie. Les embarcations qui avaient été appelées s’éloignent alors et regagnent leurs navires. »

 

 

" BOULINE. On appelle ainsi, en termes de marine, la corde qui sert à tendre et à effacer la voile de telle sorte que la route faite par le navire se rapproche le plus possible de la direction du vent. -Faire courir la bouline est un châtiment usité à bord des bâtiments de guerre. On fait ranger l'équipage sur deux haies, entre lesquelles le coupable, nu depuis la tête jusqu'à la ceinture, est obligé de passer, et reçoit de chaque homme un coup de garcette (voy. ce mot) sur le dos. Nous ferons envisager ce genre de punition sous un double caractère: l'atrocité de la peine et la flétrissure qu'elle imprime aux hommes qui y sont condamnés. C'est un cruel spectacle que la marche du malheureux sous la volée des cordes qui tombent alternativement et en cadence régulière sur son dos: il reçoit ordinairement les premiers coups avec une sombre résignation; le sentiment de la honte, de l'indignation et de la rage domine en lui le sentiment de la douleur; mais quand chaque coup laisse sur ses reins une trace noire, quand la peau se déchire, que le sang ruisselle, la douleur alors devient si accablante que souvent la victime tombe sur les genoux avant d'avoir parcouru toute la carrière de son supplice. - Autrefois, les matelots français recevaient la punition de la corde comme les malfaiteurs en Russie celle du knout: la douleur passée, tout était oublié. Mais depuis que la révolution de 89 est venue introduire de nouvelles idées dans nos esprits, on regarde les coups de corde comme une punition dégradante. Le souvenir de l'abus qu'on en faisait dans l'ancienne marine, grossi par les contes dont les vieux matelots, dépositaires de la tradition, savent si bien l'amplifier, soulève parmi nos équipages des murmures contre les ordonnances qui maintiennent les coups de corde dans nos lois pénales maritimes. L'exemple suivant fera connaître jusqu'à quel point pouvait être poussé cet abus.

 

- Depuis long-temps il se commettait à bord d'un de nos vaisseaux de guerre des vols dont il était impossible de surprendre les auteurs; la surveillance la plus exacte, les perquisitions les plus scrupuleuses ne faisaient découvrir aucune trace des voleurs. Nous étions alors en guerre avec les Anglais, et le commandant, qui craignait que la discipline ne se relâchât, avait souvent menacé de punir d'une manière terrible le premier coupable qu'on parviendrait à saisir; mais ses menaces n'arrêtaient pas les vols, et tous les jours on en commettait de nouveaux. Un jour que l'équipage était réuni en branle-bas de combat, et qu'on se préparait à aborder l'ennemi, le fils du maître d'équipage aperçut, en allant chercher des gargousses, un jeune matelot qui sortait du poste des aspirants et semblait, au mouvement de son bras, cacher quelque chose sous sa chemise. La figure, le geste de ce novice, sa rencontre dans un lieu où il ne devait pas être, frappèrent le petit pourvoyeur de gargousses, qui revint dire à son père ce qu'il avait vu, et quels soupçons il avait conçus. Ce fut un trait de lumière pour le maître; il s'approcha de l'officier et lui dit qu'il croyait avoir trouvé un voleur. "Qui parle de voleur? s'écria le commandant qui était derrière l'officier. - Moi, répond le maître, et c'est mon fils qui est l'accusateur." Le commandant fait aussitôt saisir et fouiller le novice, et l'on trouve en effet sous sa chemise une somme d'argent assez forte, qu'il venait de prendre aux aspirants. La nature du vol, et surtout les circonstances qui l'accompagnaient, dans un moment où l'amour de la gloire et de la patrie devait seul embraser les cœurs, exaltèrent le commandant qui jura que, puisque la loi ne lui permettait pas de condamner le voleur à mort, il le ferait périr sous les coups. Le combat terminé, le coupable, dépouillé de sa chemise, fut attaché à deux barres de cabestan, et après une courte allocution à l'équipage, alors rassemblé tout entier sur le pont, le commandant donna le signal de l'exécution, et l'on compta lentement un à un le nombre des coups de garcette. Le patient laissa d'abord échapper quelques cris, puis il  fit des contorsions et des grimaces, et bientôt, n'ayant plus la force de se soutenir, il tomba comme assommé en poussant un sourd gémissement. Alors presque toute la peau de ses épaules et de ses reins était déchirée, la chair enlevée par lambeaux et les os à nu en quelques endroits. Le malheureux fut détaché et remis entre les mains du chirurgien, qui le pansa. Mais la punition n'était pas encore terminée, et huit jours après, quand les plaies commençaient à se guérir, le commandant fit recommencer l'exécution, et une seconde fois la victime s'affaissa sous la torture. Trois fois de suite le supplice fut renouvelé: on arrachait le malheureux de son lit pour le lier aux barres et aiguillonner ses souffrances. Enfin, le commandant se laissa toucher par les prières de son état-major, et il fit grâce au coupable; mais jamais le souvenir de ce châtiment ne s'effaça de l'imagination des spectateurs: les matelots avaient sans cesse présentes devant les yeux et les barres sanglantes du cabestan, et les lanières de chair que la garcette faisait tournoyer en l'air, et les contorsions de la victime. Aussi, depuis ce moment, n'entendit-on jamais parler d'un seul vol.

 

- Tout en blâmant l'illégalité et la sévérité de la punition, nous n'osons pas cependant condamner le commandant, qui se servit de l'arbitraire pour frapper un coupable: un châtiment exemplaire était nécessaire, et les lois étaient insuffisantes. Mais si cette fois le supplice est en quelque sorte excusé par les circonstances, on pourrait citer mille faits où un simple caprice décidait d'une exécution. Les coups de corde ne sont plus en harmonie avec nos mœurs, eh bien! qu'on les supprime. Mais, avant d'effacer ce châtiment de nos lois pénales, qu'on trouve un système de pénalité qui puisse réprimer les délits. Tout le monde convient qu'à bord d'un bâtiment de guerre la discipline doit être sévère, et la sévérité des lois est la meilleure sauve-garde de cette discipline. Quoique le châtiment de la corde soit maintenu dans notre code, il est rare qu'on l'applique: la raison publique a appris aux officiers qu'il ne fallait en user que dans les cas graves. Cependant, sa présence dans nos lois est d'un grand effet, et c'est comme un épouvantail pour les matelots indisciplinés, qui se jouent de toutes les autres punitions.

 

T.P."

 

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