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26 mai 2014 1 26 /05 /mai /2014 11:47

USAGES DES COMPAGNONS ALLEMANDS.

Le texte qui suit est extrait du Magasin pittoresque, 1835. Il est assez surréaliste et me fait penser à Alice au pays des merveilles. Nul doute qu’il intéressera les amateurs d’ésotérisme.

Jean-Louis Charvet.

ASSOCIATIONS D'OUVRIERS DANS L'ANCIENNE ALLEMAGNE.

Nous avons fait connaître précédemment (V. 1834, p. 363) le genre de vie des compagnons chasseurs, et les principales formules de leurs institutions. Les artisans, plus étroitement unis encore que les chasseurs, ne recevaient de membres nouveaux dans leurs corporations qu'en leur faisant subir des épreuves et des examens.

Il est dit dans un formulaire:

L'apprenti paraîtra devant les compagnons rassemblés à l'auberge commune. Les discours et opérations qui auront lieu seront de trois sortes: 1° souffler le feu; 2° ranimer le feu; 3° instruire.

On place une chaise au milieu de la chambre; un ancien se passe autour du cou un essuie- main dont les bouts retombent dans une cuvette placée sur la table. Celui qui veut souffler le feu se lève et dit: - Qu'il me soit permis d'aller chercher ce qu'il faut pour souffler le feu... Une fois, deux fois, trois fois, qu'il me soit permis d'ôter aux compagnons leurs serviettes et leurs cuvettes... Compagnons! que me reprochez-vous?

Réponse. - Les compagnons te reprochent beaucoup de choses: tu boîtes et tu sens mauvais (du hinkest, du stinkest); si tu peux découvrir quelqu'un qui boîte davantage et qui sente plus mauvais, lève-toi; prends tes guenilles et pends-les lui au cou.

Le compagnon alors fait semblant de chercher, et c'est à ce moment que l'on fait entrer celui qui veut se faire recevoir. L'autre, sitôt qu'il l'aperçoit, lui pend la serviette au cou et le place sur une chaise. L'ancien dit alors à l'apprenti: - Cherche trois parrains qui te fassent compagnon. - Alors on ranime le feu. Le filleul dit à son parrain: - Mon parrain, combien veux-tu me vendre l'honneur de porter ton nom?

Réponse: - Un panier d'écrevisses, une mesure de vin, une tranche de jambon, moyennant quoi nous pourrons faire joyeuse vie.

INSTRUCTION. - Mon cher filleul, je vais t'apprendre bien des coutumes du métier; mais peut-être tu en sais plus toi-même que je n'en ai appris et oublié.

Je vais te dire, en tout cas, quel est le moment où il fait bon voyager; c'est entre Pâques et Pentecôte, quand les souliers sont bien cousus et la bourse bien garnie; on peut alors se mettre en route.

Prends honnêtement congé de ton maître, le dimanche à midi, après le dîner; jamais dans la semaine, ce n'est pas l'usage du métier d'abandonner l'ouvrage au milieu d'une semaine. Dis-lui: - Maître, je vous remercie de m'avoir appris un métier honorable; Dieu veuille que je vous le rende à vous ou aux vôtres un jour ou l'autre. Dis ensuite à la maîtresse: - Maîtresse, je vous remercie de m'avoir blanchi gratis; si je reviens un jour ou l'autre, je vous paierai de vos peines... Va trouver ensuite tes amis et tes confrères, et dis-leur: - Dieu vous garde; ne me dites pas de mauvaises paroles. Si tu as de l'argent, invite tes amis et tes confrères à prendre leur part d'un quart de bière... Quand tu seras à la porte de la ville, prends trois plumes dans ta main et souffles-les en l'air. L'une s'envolera par-dessus les remparts, l'autre sur l'eau, la troisième devant toi. Laquelle suivras-tu?

Si tu suivais la première par-dessus les remparts, tu pourrais bien tomber, et tu en serais pour ta jeune vie; la bonne mère en serait pour son fils, et nous pour notre filleul; cela ferait trois malheurs.

Si tu suivais la seconde au-dessus de l'eau, tu pourrais te noyer. Ne sois pas imprudent; suis celle qui volera tout droit, et tu arriveras devant un étang où tu verras une troupe d'hommes verts assis sur le rivage, qui te crieront: Malheur! malheur!

Passe outre, tu entendras un moulin qui te criera sans s'arrêter: Arrière! arrière! Vas toujours jusqu'à ce que tu sois au moulin.

As-tu faim? entre dans le moulin, et dis: - Bonjour, bonne mère; le veau a-t-il encore du foin?

Comment vont le chien, la chatte et les poules? que font les jeunes filles? Si elles sont toujours honnêtes, les hommes les respecteront, et elles auront de bons fiancés.

Eh! dira la bonne mère, c'est un beau fils bien élevé; il s'inquiète de mon bétail et de mes filles! Elle ira chercher une échelle pour monter dans la cheminée, et te décrochera un jambon; mais ne la laisse pas monter; monte toi-même, et descends-lui la perche. Ne sois pas assez grossier pour prendre le plus gros; et quand tu l'auras reçu, remercie et va-t'en.

Il pourrait se trouver là quelque hache de meunier; ne la regarde pas, le meunier pourrait croire que tu veux la prendre. Les meuniers ont de longs cure-oreilles; s’ils t’en donnaient sur les oreilles, tu en serais pour ta jeune vie; la bonne mère en serait pour son fils, et nous pour notre filleul.

En allant plus loin, tu te trouveras dans une forêt épaisse où les oiseaux chanteront, petits et grands, et tu voudras t’égayer comme eux; alors tu verras venir à cheval un brave marchand, habillé de velours rouge, qui te dira: - Bonne fortune, camarade. Pourquoi si gai? - Eh! diras-tu, comment ne serais-je pas gai, puisque j’ai sur moi tout le bien de mon père?

Il pensera sans doute que tu as dans tes poches quelques deux mille thalers, et te proposera un échange. N’en fais rien, ni la première, ni la seconde fois. S’il insiste une troisième fois, alors change avec lui; mais, fais bien attention, ne lui donne pas ton habit le premier; laisse te donner le sien; car si tu lui donnais le tien d’abord, il pourrait se sauver au galop; il a quatre pieds, et tu n’en as que deux. Après l’échange, va toujours et ne regarde point derrière toi; si tu regardais, et qu’il s’en aperçût, il pourrait penser que tu l’as trompé; il pourrait revenir, te poursuivre et mettre ta vie en danger. Continue ton chemin.

Plus loin, tu verras une fontaine... bois et ne troubles point l’eau; car un autre compagnon peut venir après toi, qui ne serait pas fâché de boire.

Plus loin, tu verras une potence; seras-tu triste ou gai? mon filleul, tu ne dois être ni triste, ni gai, ni craindre d’être pendu; mais tu dois te réjouir d’être arrivé dans une ville ou un village. Si c’est dans une ville, et que l’on te demande aux portes d’où tu viens, ne dis pas que tu viens de loin; dis toujours d’ici près, et nomme le plus prochain village.

C’est l’usage en beaucoup d’endroits que les gardes ne laissent entrer personne; on dépose son paquet à la porte et l’on va chercher le signe. Va donc à l’auberge demander le signe au père des compagnons. Dis en entrant: - Bonjour, bonne fortune; que Dieu protège l’honorable métier; maîtres et compagnons, je demande le père. Si le père est au logis, adresse-lui la requête; alors le père te donnera pour signe un fer à cheval ou bien un grand anneau, et tu pourras entrer ton bagage. Dans ton chemin, tu rencontreras un petit chien blanc avec une jolie queue frisée. Eh! diras-tu, je voudrais bien attraper ce petit chien et lui couper la queue, ça me ferait un beau plumet. Non, mon filleul, n’en fais rien.

Le soir, quand on se mettra à table, reste près de la porte. Si le père compagnon te dit: - Forgeron! viens et mange avec nous; n’y vas pas si vite; s’il t’invite une seconde fois, vas-y; et mange. Si tu coupes du pain, coupe d’abord un petit morceau; qu’on s’aperçoive à peine de ta présence.

L’ancien dira alors: - Qu’on inscrive comme moi-même, et comme tout autre bon compagnon, celui dont le nom ne se trouve point dans les registres de la société; qu’il acquitte les frais d’écriture, qu’il donne un pour-boire au secrétaire, et qu’il ne révèle point les coutumes et les histoires du métier, ni ce qu’ont pu faire à l’auberge maîtres et compagnons.

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