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26 mai 2013 7 26 /05 /mai /2013 18:22

Article tiré du journal Le Musée des familles de décembre 1847.

" Tlemcen fut une ville très-florissante, et fut la capitale du royaume auquel elle donna son nom. C'était l'entrepôt de toutes les caravanes qui, venant de l'ouest, du sud ou de l'est, échangeaient les tapis, les céréales, les richesses des bazars d'Alger, de Tunis, du Levant, contre les fourrures et les plumes d'autruche du Sahara, ou la poudre d'or et les esclaves du Sénégal et du Maroc. Les rois berbères du Maroc ont joué un grand rôle dans l'histoire des peuplades du nord de l'Afrique. La dynastie des Beni-Zian a longtemps régné sur ces contrées fertiles et choisies du prophète, et cette dynastie a été renversée de son trône par l'aîné des Barberousse, qui sut conquérir en quelques mois, et léguer à son frère Kraïr-el-Dinn, après sa mort violente, les magnifiques provinces qui constituaient le royaume ou plutôt la régence d'Alger. Lorsque nous entrâmes dans Tlemcen pour la première fois, en février 1836, avec le maréchal Clausel, nous trouvâmes une ville ruinée. Mustapha-ben-Ismaël, ce même chef des douairs dont nous avions ruiné les tribus, s'était enfermé dans le méchouar (château) pour se dérober aux attaques hardies d'Abd-el-Kader, devenu notre plus grand ennemi; assiégé et serré de près, le vieux chef eut à supporter toutes les horreurs de la famine; et le courage de ses kourouglis (Les Kourouglis sont issus de Turcs ou de Maures et de femmes arabes.) fut si énergique dans cette circonstance, que les tribus conduites au combat par l'émir ne purent pas forcer des murailles pour la plupart écroulées. Il suffira de citer ce fait pour indiquer ce qu'eut à souffrir cette faible garnison. Nous trouvâmes les terrasses du méchouar, du minaret et de toutes les maisons que n'avait pas enlevées l'ennemi, ensemencées d'orge et de riz que les assiégés soignaient, récoltaient et se partageaient plus précieusement qu'ils n'eussent fait de lingots d'or, ou de diamants.

C'était un spectacle magnifique et à la fois touchant que de voir le vieil aga de la plaine, Mustapha-ben-Ismaïl, venir à cheval au-devant de notre colonne libératrice, entouré de ses neveux, huit jeunes guerriers qui portaient écrites sur leurs fronts les prouesses qu'ils avaient faites pour sauver la gloire et la tête de leur vénérable patriarche et chef intrépide. Derrière ce cortège s'avançait la population décimée de Tlemcen; les joues de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants étaient hâves, creuses; tous les fronts avaient pâli dans cette épreuve surhumaine; leurs pas étaient chancelants et lourds!... Après un siège de plus de deux années, la garnison sortait pour la première fois au grand air, au jour calme, au soleil étincelant!

Aujourd'hui, Tlemcen est une ville très-habitable; les généraux Cavaignac et Bedeau y ont employé beaucoup de savoir, beaucoup d'énergie et de patience; le génie militaire a relevé les murs éboulés, on a fortifié l'enceinte, aligné et élargi les rues, bâti une magnifique caserne, assaini les places, construit de belles maisons, et presque achevé des routes stratégiques qui convergent dans toutes les directions. Puis est venu le peuple des industriels, les limonadiers, les marchands, les jardiniers, quelques fermiers; et la ville, changeant de tournure, a quitté ses burnous pour se vêtir de cotillons et de pantalons à sous-pieds. Une division de dix mille hommes a son état-major à Tlemcen; mais ces dix mille hommes sont toujours par voies et par chemins, dans toutes les directions. C'est une fête pour les troupes que de rentrer à Tlemcen, où elles trouvent des jouissances de la vie au moins les plus essentielles.

Les officiers ont fondé un cercle muni de toutes les feuilles et revues qui s'impriment en France; les sous-officiers et soldats ont monté un théâtre où l'on rit souvent de meilleur cœur, ma foi, que chez nous, Parisiens, qui ne rions pour la plupart du temps que du bout des lèvres.

Tlemcen ayant donc changé de peau des pieds à la tête, et n'ayant plus même un reflet d'originalité, puisque tout y est écrit en français, raconté en français, bu, mangé et porté à la française, j'ai hâte d'en sortir, et je me joins à une colonne qui va chez les Trara et les Ouled-Assas, pour voir un peu de pays et faire un tour d'horizon."

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