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3 avril 2012 2 03 /04 /avril /2012 01:38

Un juste, François-Melchior-Charles-Bienvenu de Miollis, évêque de Digne (1753-1843).

J’ai récemment relu les premiers chapitres des Misérables de Victor Hugo, en vue d’une intervention auprès d’élèves de classes de seconde du lycée Saint-Joseph d’Avignon. Cette œuvre m’avait marqué, enfant, tant par sa lettre que par les illustrations qui ornaient l’édition de la fin du XIX° siècle provenant de mes ancêtres maternels. Je fus impressionné, durablement, par les personnages de Fantine, de Cosette, de Jean Valjean, et, peut-être, cette lecture ne fut pas étrangère, beaucoup plus tard, à mon entrée dans la magistrature.

Cette œuvre, publiée pour la première fois il y a cent-cinquante ans, peut encore intéresser à divers titres : elle est un document très riche sur la vie politique, sociale, judiciaire, etc., de la France pendant un demi-siècle, de la Révolution à la Monarchie de Juillet ; elle contient des développements,  du plus haut intérêt,  sur la société, la politique, la religion, etc. ; elle est enfin une galerie de personnages complexes, attachants ou repoussants, qui ont marqué de nombreuses  générations de lecteurs.

Parmi eux, Monseigneur Charles-François-Bienvenu Myriel, évêque de Digne, est sans doute le plus exemplaire. C’est à lui qu’Hugo consacra le premier chapitre de son œuvre, intitulé « Un juste », et quelques chapitres suivants. C’est à lui que Jean Valjean pensera à plusieurs reprises lorsqu’il connaîtra ses fameuses tempêtes sous un crâne.

Hugo s’est inspiré, pour construire ce personnage, de la vie de Bienvenu de Miollis, né à Aix, 13 rue Aude,  le 19 juin 1753 et décédé dans la même ville le 27 juin 1843. Ordonné prêtre en 1777, il fut nommé à la cure de Brignoles (Var), avant de retourner à Aix où il exerça son ministère dans la chapelle des Ursulines ; il fit partie de l’œuvre dite du Catéchisme de la campagne d’Aix, instruisit et confessa les mendiants, fut nommé plus tard trésorier de l’Université ; ayant refusé de prêter serment à la Constitution, il fut déchu de sa fonction le 17 juin 1791. En juin 1792, il s’exila à Rome. Il s’y livra notamment à des travaux d’érudition sur l’histoire de la Ville Sainte, résumés dans onze volumes manuscrits. Il revint en 1801 à Aix, fut nommé vicaire à Saint Sauveur, puis, en 1804,  curé de Brignoles. Malgré ses réticences,  on lui confia l’évêché  de Digne en 1806. Il  occupa ce siège jusqu’en 1838, année au cours de laquelle son grand âge et son état de santé l’obligèrent à présenter sa démission au Pape. Dans son diocèse qui, jusqu’en 1823, comprenait nombre de paroisses des Hautes-Alpes, et même en dehors, dans les départements du Var et de Vaucluse, Il fut aimé, et considéré comme un saint, pour sa simplicité, l’extrême frugalité de ses mœurs, sa charité, le plus souvent pratiquée en secret, qui le fit appeler le père des pauvres. Il ne roulait pas carrosse, mais faisait la tournée de ses paroisses, souvent déshéritées, dans une carriole, ou monté sur un cheval fort commun et très simplement harnaché.  Il avait une particulière sollicitude pour les pauvres, ceux qui n’avaient ni ressources, ni instruction, les misérables, auxquels il prêchait l’Evangile avec des mots simples. Pendant 19 ans, il occupa à Digne partie d’une modeste maison, au lieu de loger au palais épiscopal. Il passa les cinq dernières années de sa vie à Aix chez sa sœur, Anne-Madeleine de Ribbe, 6 rue Mazarine.  

Peu avant sa mort, il avait dit à l’un de ses proches : « Je vous veux trop de bien pour vous souhaiter trois heures seulement d’Episcopat. C’est un fardeau accablant que celui qui est imposé à un Evêque, il était trop lourd pour moi. »

Dans les Misérables, Victor Hugo a dit de Monseigneur Bienvenu : « Il cherchait à conseiller et à calmer l’homme désespéré en lui indiquant du doigt l’homme résigné, et à transformer la douleur qui regarde une fosse en lui montrant la douleur qui regarde une étoile. »

Hugo a pris des libertés avec la biographie de son modèle. Il s’attira les critiques d’un parent du vénéré évêque de Digne, Francis de Miollis, qui, le 21 avril 1862, mit les choses au point dans une lettre au journal légitimiste l’Union ; extrait de cette lettre : « Mgr Charles Bienvenu de Miollis n'a jamais été marié. Tout le temps de sa jeunesse et de son sacerdoce a été marqué au coin de la plus fervente piété et d'une régularité exemplaire. Sa douceur évangélique a souvent été signalée dans des circonstances où la patience la plus exercée eût pu faillir. J'en appelle au témoignage de tous ceux qui ont pu le connaître en Provence jusqu'en 1843. La première partie de sa vie n'a donc pas été donnée au monde ni aux galanteries, et son caractère n'a pas offert le triste spectacle de ces violences toujours regrettables que M. Hugo prête à son évêque Myriel. Constamment fidèle à tous les devoirs de l'épiscopat, homme de charité, l'homme des pauvres, il a prêté le concours actif de son zèle aux autres classes de la société; riches ou pauvres, toutes ses ouailles lui étaient chères.

Quant à ses doctrines, elles n'ont jamais eu un caractère équivoque. Toute sa vie il a été le fidèle défenseur de l'Église et de la Papauté. La Révolution n'a jamais pu trouver en lui un adhérent, puisqu'il émigra en Italie pour rester fidèle au serment qui le liait à la chaire apostolique et fuir le schisme qui déchira si douloureusement en 1791 l'Église de France. M. Victor Hugo n'a pas moins offensé la vérité que les convenances, en montrant ce digne et saint évêque agenouillant la religion devant un libre-penseur et la dignité épiscopale devant un conventionnel. »

Cent-cinquante ans plus tard, on se souvient (du moins si l’on a reçu une instruction classique),  de Monseigneur Bienvenu, le personnage d’Hugo ; quant au nom de Miollis, s’il est familier aux aixois, c’est uniquement parce qu’il désigne une place  et une caserne. Mais la municipalité n’a pas honoré le père des pauvres, mais son frère, Sextius-Alexandre-François (1759-1828), général de la Révolution et de l’Empire, qui, entre autres fonctions éminentes, occupa Rome de 1807 à 1814.  A ce titre, il arrêta le pape Pie VII dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809. Ironie de l’histoire, que ces destins si différents de deux frères.

Peut-être, un jour, la municipalité d’Aix honorera-t-elle l’aîné, comme elle le fit pour le cadet…

Jean-Louis Charvet.

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