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11 mars 2013 1 11 /03 /mars /2013 15:40

Au Chien galant.

Dans les années 1820, on pouvait voir déambuler dans les rues de Paris, plus spécialement dans celles du Quartier latin, un homme qui conduisait une charrette tractée par un chien Saint-Bernard. Vêtu de noir, à la figure maigre, Brutus Longepierre avait été, pendant plus de vingt ans, soldat des armées de la République et de l’Empire. Il était désormais un « demi-solde », et était contraint de travailler, pour vivre dignement. Dans la petite maison de la rue Monge, qui constituait son seul héritage, avait longtemps vécu un pauvre hère qui gagnait sa vie en chantant des complaintes, en s’accompagnant d’un orgue de Barbarie ; le Saint-Bernard que j’ai évoqué plus haut faisait la quête. A la mort de cet homme, Brutus Longepierre acheta à ses héritiers, pour une bouchée de pain, l’orgue et le chien. Grand ami de la race canine, il recueillait les chiens abandonnés, qu’il soignait dans un chenil aménagé dans la courette de sa maison, épargnant aux quadrupèdes le triste sort de tomber aux mains d’individus sans scrupules qui les auraient capturés pour les livrer aux fabricants de gants,  ou de vestes en fourrure.

Il eut l’idée de tirer profit de ses hôtes. Il en choisit cinq, tous caniches, et en fit des artistes.

Le plus gros, de poil uniformément noir, fut nommé Hercule. Un autre, à la robe acajou, il était sans doute un peu bâtard, reçut le nom de Rufus. Une jeune personne, délicate, à la fourrure longue et d’un blanc immaculé, partageait avec la déesse de l’Amour le patronyme de Vénus. La plus âgée des deux chiennes, d’un embonpoint excessif, mais qui ne manquait pas de grâce, telle les femmes peintes par Rubens, répondait au nom d’Opulence. Enfin, un tout jeune caniche, tout blanc, à l’exception d’un cerne noir autour de l’œil gauche, avait été nommé Pirate par son maître.

Chaque matin, ce dernier enfermait ses élèves (et collaborateurs) dans une cage fixée sur la charrette tractée par le Saint-Bernard, nommé tout simplement Bernard. Arrivé sur l’un des marchés de Paris, Brutus montait une estrade, bornée par deux colonnes soutenant un fronton sur lequel était inscrite sa raison sociale : Au Chien galant. Le spectacle commençait par le défilé des caniches : Hercule ouvrait la marche, à quatre pattes, portant sur son dos Rufus, qui saluait avec la dignité d’un roi, suivi des deux dames (ou demoiselles) chiens, qui adoptaient la démarche des bipèdes, et enfin de Pirate, qui, lui, avançait en faisant des sauts audacieux, voire burlesques.

Les animaux s’asseyaient ensuite sur des fauteuils disposés sur l’un des côtés de l’estrade ; alors Brutus annonçait le programme du spectacle, et demandait à Bernard, au col duquel était attachée une sébile, de faire la quête.

Après avoir remercié les spectateurs, il appelait par son nom Hercule qui se plaçait au centre de la scène ; il le faisait sauter à travers un cerceau, soulever des poids énormes avec sa gueule, marcher à l’amble comme un cheval dressé, faire des ruades, enfin donner un concert de ses plus beaux et lus variés accords.

Venait ensuite le tour d’Opulence ; vêtue en marquise de l’Ancien Régime, elle tournait sur elle-même, avec lenteur et grâce, et, accompagnée par les sons mélodieux de l’orgue de Barbarie que jouait Brutus, exécutait à la perfection branles, menuets et courantes.

Rufus, quant à lui, l’intellectuel de la troupe, exécutait des opérations d’arithmétique sous la direction de son maître.

Enfin, au son d’une valse, danse nouvelle, Vénus et Pirate, vêtus à la mode du jour, et se tenant sur leurs pattes de derrière, dansaient à la grande joie du public.

Bernard repassait dans les rangs de ce dernier, puis Brutus Longepierre et son équipage gagnaient une autre place pour recommencer leur spectacle.

Jean-Louis Charvet.

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