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17 avril 2013 3 17 /04 /avril /2013 03:50

Ci-dessous un article paru le 2 juin 1895,  quelques mois après la dégradation du capitaine Dreyfus dans la revue les Annales politiques et littéraires:

" La double interpellation de MM. d'Hugues et Denis sur l'infiltration du sémitisme a produit au Parlement une assez grosse agitation.

La discussion s'est surtout passionnée vers la fin avec M. Rouanet qui a porté la question sur le terrain social et surtout avec M. Naquet qui a prononcé un long et consciencieux plaidoyer en faveur de la cause juive.

La discussion n'a pas duré moins de deux séances.

Résumons l'argumentation des divers orateurs qui se sont succédé à la tribune.

C'est M. Denis qui a le premier pris la parole. L'honorable député des Landes n'aime pas les juifs. Il a dressé contre eux un ardent réquisitoire.

Ce qu'il leur reproche, à vrai dire, ce n'est pas tant d'aimer l'argent et de "pratiquer l'usure", que d'être des cosmopolites, de former entre eux une sorte de franc-maçonnerie.

'A l'heure actuelle, a-t-il dit, il y a, en France, une race à part plus puissante que l'Etat par ses richesses, plus forte que lui par ses moyens d'action; une race qui vise à dominer le pays et qui le dominera avant peu si l'on ne réagit contre elle."

M. le vicomte d'Hugues n'est pas un antisémite moins belliqueux.

Il ne verrait aucun inconvénient à ce que les israélites fussent dépouillés de leurs biens et chassés du pays.

Les conclusions de son discours ont été particulièrement vives et, parmi les nombreux israélites qui assistaient au débat, beaucoup ne l'ont pas écouté sans émotion.

M. Rouanet, qui parlait au nom du parti socialiste, a nié qu'il y eût une question juive. Ce qu'on reproche aux israélites on pourrait le reprocher à beaucoup de protestants et de catholiques. L'antisémitisme n'est, pour lui, que la guerre de la classe propriétaire foncière contre la classe propriétaire financière, ou, comme le lui a soufflé l'abbé Lemire, la guerre entre la terre et l'argent et, dans ce duel, a-t-il déclaré, les socialistes ne sont pour personne.

C'est M. Naquet qui avait assumé la tâche de répondre aux interpellateurs. Il s'est efforcé de dégager ses coreligionnaires de ce faisceau d'accusations. Il s'est employé surtout à démontrer que les israélites français n'étaient pas dénués de patriotisme.

"Ils se sont tellement fondus dans le reste de la nation qu'ils en ont épousé les dissentiments politiques, a-t-il répété à plusieurs reprises; et la preuve, a-t-il ajouté, c'est qu'à l'époque du boulangisme on a pu voir dans le parti gouvernemental, M. Joseph Reinach; dans le parti boulangiste de droite, M. Arthur Meyer, et dans celui de gauche, M. Naquet lui-même.

Cette fusion (a-t-il ajouté) rencontre beaucoup de difficultés au point de vue matériel, les mariages entre juifs et chrétiens sont rares, mais au point de vue intellectuel et moral elle serait parfaite."

Les israélites "aimeraient la France qui les a faits libres et citoyens; ils l'aimeraient passionnément, au-dessus de toute chose, au-dessus de leurs familles, au-dessus d'eux-mêmes."

Le gouvernement n'est intervenu dans le débat que pour la forme et pour dire que si les juifs avaient pu se livrer à des intrigues ou se jeter plus âprement dans la lutte pour la vie, c'était l'affaire à la société et non au gouvernement; le gouvernement ne peut que faire respecter la loi et assurer à chacun une justice impartiale."

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16 avril 2013 2 16 /04 /avril /2013 20:28

Lu dans les Annales politiques du 26 mai 1895 l'article qui suit:

" Les habitants de Clichy s'apercevaient depuis longtemps que les côtelettes de mouton qu'ils mangeaient avaient un goût étrange et nouveau pour eux. Il en était de même du ragoût de mouton, du pied de mouton et généralement de tout ce qu'on leur vendait comme mouton dans certaines boucheries. D'abord ils protestèrent et s'adressèrent même à la préfecture de police qui leur répondit qu'elle avait autre chose à faire que de surveiller la nourriture de simples habitants de Clichy. Et peu à peu les habitants de Clichy s'habituaient au goût du mouton qu'on leur servait et ils seraient peut-être même arrivés à ne plus pouvoir en manger d'autre - d'autant plus que celui-là se vendait fort bon marché - si quelqu'un n'avait pas fait un jour une remarque curieuse:

Le temps depuis lequel on mangeait à Clichy ce mouton fin-de-siècle, coïncidait avec la disparition d'un grand nombre de chiens du pays, principalement des plus beaux et des plus gros. Et lorsque, la veille, un propriétaire constatait que son chien lui avait été volé, le prix du mouton baissait à Clichy.

Ces observations plusieurs fois répétées firent naître des soupçons dans la cervelle des gens. On commença une enquête dans les boucheries suspectes, et, raconte notre confrère Graindorge, on finit par découvrir dans un égout les têtes de tous les animaux volés.

Il n'était que trop facile de deviner ce qu'étaient devenus les corps des victimes. Hélas! combien de côtelettes de danois, quels ragoûts d'épagneul jardinière, quels haricots de caniche et quelles quantités de dogues braisés avaient assouvi la faim des malheureux habitants de Clichy!

Le Laboratoire municipal, saisi de la question, déclara qu'en effet la viande incriminée était du chien et rien que du chien. On juge de l'émotion qui s'est emparée, à cette nouvelle, de toute la population si odieusement trompée. L'amour des chiens, qui a engendré de si touchants dévouements, ne va pas toutefois jusqu'à se nourrir exclusivement de cet animal. Il est encore heureux que les bouchers aient eu le tact d'enlever les colliers des pauvres bêtes.

Qoui qu'il en soit, la science vient de faire un grand progrès. On savait déjà que le chat peut remplacer le lapin; on sait aujourd'hui que le chien rivalise avec le mouton. Il serait important qu'on nous dit quel est l'animal que nous mangeons sous le nom de bœuf et de quel animal aussi proviennent les escalopes de veau. Si on réfléchit en outre que nombre de pommes de terre nouvelles que l'on vend à Paris sont récoltées dans des cimetières, - fait qui a été l'objet d'un scandale récent, - on ne s'étonnera plus de l'état où en sont arrivés les estomacs modernes."

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14 avril 2013 7 14 /04 /avril /2013 23:53

Dégradation du capitaine Franget.

Alors que le capitaine Dreyfus allait être dégradé, la revue Les annales politiques et littéraires publia, le 6 janvier 1895, l’article suivant.

Jean-Louis Charvet.

«  A rapprocher du supplice de la dégradation qui va être infligé à Albert Dreyfus.

Le châtiment d'un traître sous François I°.

Il y eut aussi sous François I° un capitaine français traître à sa patrie, et voici quel fut le châtiment qu'on lui infligea:

Le capitaine Franget, qui avait sans résistance livré Fontarabie à l'ennemi, armé de toutes pièces, ayant devant lui son écu porté, renversé, au bout d'un pal, fut amené sur un échafaud qu'entouraient les troupes de la population.

Douze prêtres, assis sur l'échafaud, entonnèrent les Vigiles des morts.

Après chaque verset, pendant une pause, un héraut d'armes dépouillait, du casque aux éperons, le misérable en criant: "Ceci est le casque d'un déloyal chevalier! Ceci est le ganelet d'un traître! Ceci est la hache d'armes d'un félon!"

Quand l'écu blasonné du capitaine eut été brisé en morceaux à coup de marteau, les prêtres chantèrent lugubrement les effroyables malédictions contre le coupable et sa race, que contient le 109° psaume de David.

Puis un bassin d'eau chaude, - symbolisant le bain de purification que prenaient les bons chevaliers la veille de leur admission, - lui fut versé ignominieusement sur la tête.

Après quoi, à l'aide d'une corde passée sous les aisselles, l'infâme dégradé fut descendu de l'échafaud sur une civière, où, recouvert d'un drap mortuaire, il fut porté au supplice.

Ce supplice, le capitaine Franget le subit. Il dut lui sembler un bienfait, une délivrance après son écrasante dégradation. »

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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 17:05

Le noviciat des marchands à Bergen (Norvège).

Je donne ci-dessous un extrait du Dictionnaire universel, historique et critique des mœurs, publié en 1772 à Paris chez J.P. Costard. Il est relatif aux épreuves d’initiation subies par les jeunes marchands de Bergen (Norvège), afin d’être reçus, au terme d’un apprentissage de huit années, membres de la « Société des Marchands de la Compagnie Anséatique ».

Nul doute que ce texte intéressera ceux qui étudient l’histoire des compagnonnages et celle de la franc-maçonnerie. Jean-Louis Charvet.

  NOVICIAT-MARCHANDS-001.jpg

NOVICIAT-MARCHANDS-002.jpg

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12 avril 2013 5 12 /04 /avril /2013 22:25

Un poète breton, Yann Nibor (Jean Albert Robin).

Né à Saint-Malo en 1857, décédé à La Chapelle-sur-Edre en 1947, Jean Albert Robin, marin, fut un poète et chansonnier apprécié. L’article ci-dessous, extrait de la Nouvelle Revue (numéro de janvier-février 1897) permet d’avoir une idée de son œuvre. On trouvera l’un de ses poèmes sur  le site Internet suivant :

http://www.lyc-hautil-jouy.ac-versailles.fr/spip.php?article1261

Jean-Louis Charvet.

«  YANN NIBOR, A ALGER.

La Société des beaux-arts a inauguré avec éclat la série de ses réunions d'hiver, grâce au concours d'Yann Nibor (M. Albert Robin), le poète chansonnier bien connu, dont quelques oeuvres ont paru dans la Nouvelle Revue. Le Barde des Mathurins, bien que venu pour quelques jours seulement en Algérie, s'est rendu avec empressement à l'invitation qui lui avait été faite, et, pendant toute une soirée, a tenu un auditoire d'élite sous le charme pénétrant de ses vers et de sa diction.

Yann Nibor est grand, robuste, aux épaules larges, aux traits vigoureusement dessinés, un vrai gabier. Toute sa physionomie exprime l'énergie, mais aussi la bonté. La voix est chaude et puissante: tantôt elle s'adoucit et prend des inflexions tendres ou tristes; tantôt elle éclate comme une sonnerie de clairon; tantôt elle se fait rauque comme le rugissement des lames qui déferlent sur les brisants; mais toujours elle est en harmonie avec l'œuvre du poète, cette peinture vivante de l'existence et des sentiments des marins, - surtout des marins bretons.

Ces poésies sont d'ordinaire naïves, quelquefois presque sauvages; mais elles produisent par leur simplicité même une impression profonde. On souffre du mal du pays avec le jeune Malouin qui regrette le clocher gris de son village, les maisons couvertes de chaume, les vaches rousses, les pommiers verts, l'auberge où l'on boit du bon cidre; on s'émeut avec lui au souvenir des vieux parents, de l'aïeule au chef branlant et de la promise qui n'a pas "un brin d'aisance", mais qui a "des masses d'amour". On partage l'anxiété de la femme du pêcheur à la pensée des dangers que font courir à son homme les bancs de Terre-Neuve ou les mers grises d'Islande; et lorsque, sur le vaste Océan calme ou en courroux, quelque drame attriste le bord, on croit y prendre parti: on tressaille au bruit sourd que fait, en heurtant le pont, le corps du pauvre gabier tombant du haut des vergues; on suit des yeux avec angoisse l'homme à la mer, dont les compagnons s'éloignent avec douleur, forcés par la tempête d'assister impuissants au funèbre repas des albatros.

Mais l'émotion que soulèvent ces tableaux si réalistes, si saisissants, est saine et réconfortante. Comme la brise vivifiante de la mer fouette les visages de ces humbles, un grand souffle d'honnêteté, de courage et de bonté gonfle leurs cœurs. Tendresse des vieux pour les "gas", respect des jeunes pour les anciens, dévouement envers les camarades et les chefs, résignation dans la douleur, énergie devant le danger, amour profond de la patrie, culte passionné du devoir et du drapeau, tels sont les sentiments et les vertus qui caractérisent les personnages d'Yann Nibor.

Aussi l'impression a-t-elle été très vive sur tous ceux qui ont eu la bonne fortune d'entendre, à la soirée des Beaux-Arts, l'auteur des Chansons et Récits de mer.

A.”

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10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 15:22

Vœux.

Je voudrais, dit l’enfant, voler au-dessus des songes, nager au milieu des rêves, être à la fois ici et ailleurs, prendre l’aspect de la licorne, du lion, du cheval, de l’albatros,

je voudrais voyager dans le temps, le passé, l’avenir, grandir, redevenir bébé,

 je voudrais, dit l’enfant, voir mes parents heureux, revoir ma grand-mère morte,

 je voudrais tout pouvoir,

 je voudrais, dit l’enfant….

Jean-Louis Charvet. 10 avril 2013.

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9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 03:46
Curiosités déplacées

Oui moi, je veux savoir! Parlez! pourquoi ces choses ?
Où chercher le Témoin de tout ? Car l'univers
Garde un coeur quelque part en ses métamorphoses!
- Mais nous n'avons qu'un coin des immenses déserts!

 

Un coin ! et tout là-bas déroulement d'espaces
A l'infini ! Peuples de frères plus heureux!
Qui ne retrouveront pas même, un jour, nos traces
Quand ils voyageront à leur tour pas ces lieux!

 

Et j'interroge encor, fou d'angoisse et de doute!
Car il est une Enigme au moins! j'attends! j'attends!
Rien ! J'écoute tomber les heures goutte à goutte.
-Mais je puis mourir! Moi ! Nul n'attendrit le temps!

 

Mourir! n'être plus rien! rentrer dans le silence!
Avoir jugé les Cieux et s'en aller sans bruit!
Pour jamais! sans savoir! tout est donc en démence!
-Mais qui donc a tiré l'Univers de la nuit?

 

Jules Laforgue

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9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 02:06
Complainte de l'orgue de Barbarie
Orgue, orgue de Barbarie,
Don Quichotte, souffre-douleur,
Vidasse, vidasse ton cœur,
Ma pauvre rosse endolorie.

          Hein, étés idiots,
          Octobres malades,
          Printemps, purges fades,
          Hivers tout vieillots ?

-« Quel silence, dans la forêt d'automne,
Quand le soleil en son sang s'abandonne!»

Gaz, haillons d'affiches,
Feu les casinos,
Cercueils des pianos,
Ah ! Mortels postiches.

-«Déjà la nuit, qu'on surveille à peine
Le frou-frou de sa titubante traîne. »

Romans pour les quais,
Photos élégiaques,
Escarpins, vieux claques,
D'un coup de balai !

-«Oh ! J'ai peur, nous avons perdu la route;
Paul, ce bois est mal famé! Chut, écoute...»

Végétal fidèle,
Ève aime toujours
LUI! Jamais pour
Nous, jamais pour elle.

-«Ô ballets corrosifs ! Réel, le crime ?
La lune me pardonnait dans les cimes. »

Vêpres, ostensoirs,
Couchants ! Sulamites
De province aux rites
Exilants des soirs !

-«Ils m'ont brûlée; et depuis, vagabonde
Au fond des bois frais, j'implore le monde.»

Et les vents s'engueulent,
Tout le long des nuits !
Qu'est-c'que moi j'y puis,
Qu'est-ce donc qu'ils veulent ?

-«Je vais guérir, voyez la cicatrice,
Oh ! Je ne veux pas aller à l'hospice ! »

Des berceaux fienteux
Aux bières de même,
Bons couples sans gêne,
Tournez deux à deux.

   Orgue, orgue de Barbarie !
   Scie autant que souffre-douleur,
   Vidasse, vidasse ton cœur,
   Ma pauvre rosse endolorie.

 

Jules Laforgue

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26 mars 2013 2 26 /03 /mars /2013 01:52

Epidémie de rougeole à Oran en 1887-1888.

En avril 1888, l'Association pour l'avancement des sciences se réunit en congrès à Oran. Les actes de ce congrès furent publiés la même année à Paris. On y trouve de nombreux textes intéressants sur l'Algérie de l'époque, abordant des sujets qu'on trouve rarement dans les livres "classiques" sur ce pays. Je donne ci-dessous celui relatif à une épidémie de rougeole.

Jean-Louis Charvet.

 

"Relations graphiques sur l'épidémie de rougeole qui a sévi à Oran du 1° octobre 1887 au 15 mars 1888.

M Monguillem (d'Oran) présente, sous la forme de graphiques accompagnés de leurs légendes, jour par jour pendant toute sa durée, la relation d'une épidémie de rougeole. L'affection rubéolique est présentée, par la mortalité, dans ses rapports avec les agents généraux qui peuvent devenir, par leur influence, de véritables facteurs. Les divers graphiques sont consacrés à la barométrie et thermométrie; à la comparaison de la mortalité générale avec la mortalité rubéolique; à la répartition par âges; à la répartition par sexes; à la répartition par nationalités; à l'état du ciel, etc...

Pour établir ces diverses relations, l’état civil a fourni à l’auteur les documents officiels et il doit à la bienveillance du Dr Vincent, médecin en chef de l’hôpital militaire, les données météorologiques qui y sont jointes.

L’origine de cette épidémie et les causes de la mortalité n’ont présenté à l’examen rien d’anormal.

Discussion. M. CROS: D’après le graphique, on voit que la population espagnole a été la plus frappée: cela n’est pas surprenant, attendu que c’est la plus misérable de la ville. J’ai même vu en ville des cas de rougeole ambulante. La garnison n’a pas été atteinte. Les enfants français ont fourni un très petit nombre de cas.

M. Hublé. A l’appui de la remarque de M. Cros, je tiens à dire à quelles difficultés je me suis heurté, dans mon rôle de médecin de colonisation à Lalla-Marnia, lorsque j’ai voulu faire prendre, l’hiver dernier, les mesures ordonnées par l’hygiène la moins rigoureuse. Dans ce village de neuf cents habitants, j’ai assisté, aux mois de novembre et décembre 1887, à une épidémie de rougeole qui a frappé plus de cent vingt enfants âgés de un à quinze ans; eh! bien, jamais, au cours de cette épidémie, je n’ai pu obtenir l’isolement des malades ou des convalescents. Non seulement cette population, espagnole ou israélite, pauvre, sale, négligente, est bien peu soucieuse des règles de l’hygiène, mais encore les parents, pour se débarrasser au plus tôt de leurs enfants, les envoyaient dehors jouer avec les autres, en dépit de toutes mes prescriptions, ou même les renvoyaient à l’école communale le dixième jour, parfois le cinquième ou le sixième jour de leur maladie! Quant aux désinfections, ce n’est que dans deux circonstances graves, et encore à grand’peine, avec l’appui de l’autorité et sous la surveillance du garde champêtre, que j’ai pu les faire exécuter; il s’agissait de deux cas de diphtérie toxique. »

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26 mars 2013 2 26 /03 /mars /2013 01:51

Nourrissons français en Algérie.

En avril 1888, l'Association pour l'avancement des sciences se réunit en congrès à Oran. Les actes de ce congrès furent publiés la même année à Paris. On y trouve de nombreux textes intéressants sur l'Algérie de l'époque, abordant des sujets qu'on trouve rarement dans les livres "classiques" sur ce pays. Je donne ci-dessous celui relatif aux nourrices.

Jean-Louis Charvet.

 

"M. Théophile Roussel, membre de l'Académie de Médecine, à Paris.

De l'application aux nourrissons français en Algérie de la loi de protection des enfants du premier âge.

M. Roussel expose que, au milieu du développement remarquable de la colonisation française et des résultats obtenus au point de vue de l'acclimatement de notre race en Algérie, il reste encore un fait incontestable et qui réclame la sollicitude du pouvoir public: l'infériorité de la population de sang français sur les populations originaires du midi de l'Europe, au point de vue de la natalité, tandis que la mortalité, et, en particulier, celle des enfants du premier âge, reste plus considérable. L'application de la loi du 23 décembre 1874 est au premier rang des mesures que cette situation réclame. Quoique la loi soit promulguée en Algérie depuis 1877, elle n'y est appliquée que dans les principaux centres de population et d'une façon très incomplète. Les résultats obtenus et dont l'auteur présente un résumé prouvent, déjà, l'efficacité de la loi pour diminuer la mortalité excessive des nourrissons et démontrent la nécessité d'une application plus générale et plus exacte. L'auteur demande que les médecins de colonisation soient appelés à concourir à l'exécution de la loi et que, dans les trois départements, l'Administration procède à l'organisation de l'inspection médicale des enfants du premier âge.

L'expérience ayant démontré la nécessité, pour assurer la mise en pratique de la loi, de l'application des sanctions pénales de cette loi aux nourrices et aux agents de placement qui commettent des infractions aux prescriptions légales, l'auteur demande que l'Administration algérienne, qui vient de manifester le désir de constituer sérieusement la protection des enfants du premier âge, réclame et obtienne le concours des parquets.

L'auteur fait remarquer qu'il a évité de produire devant la Société les chiffres les plus favorables qui lui ont été communiqués sur les effets de la loi déjà obtenus en Algérie, parce que ces chiffres ne lui ont pas paru établis sur des bases suffisamment exactes. Il indique les améliorations indispensables à apporter dans ces relevés numériques, afin que la statistique puisse servir en Algérie, comme elle l'a fait dans un assez grand nombre de départements français, à établir les bienfaits de la loi et à en mesurer les progrès.

Discussion. M. MONDOT: Chez nous, on envoie fort peu les nourrissons dans les campagnes auprès de nourrices mercenaires, parce que les conditions de ces nourrices mercenaires en campagne sont des plus misérables et qu'on serait assuré à l'avance de confier en de très mauvaises mains son enfant.

Les nourrices mercenaires en ville sont, ou des Juives, ou des Espagnoles, sauf quelques très rares Françaises. Les Juives n'allaitent guère d'autres enfants que les Israélites. Quant aux Espagnoles, assez pauvres en général, elles font tout pour que l'application de la loi soit impossible. Où le médecin irait-il les visiter? Elles habitent dans des rues sans nom, à une maison sans numéro; et, dans la maison, vrai dédale, vivent l'un sur l'autre quarante ménages ou plus: tout ce monde-là, criblé d'enfants, déménageant à tout instant sans que personne s'occupe de savoir la nouvelle adresse. Un médecin a beau être dévoué, quand il s'est perdu un certain nombre de fois dans ces impasses, quand il a heurté sans succès à toutes les portes, interrogé chacun sans résultat, il se lasse et renonce à l'accomplissement d'une besogne impossible.

M. ROUSSEL. Ne croyez pas qu'en France les difficultés dont vous parlez ne se sont pas présentées, mais on ne s'est pas laissé désarmer et l'on a lutté, avec ou sans succès, en s'aidant de tous les auxiliaires possibles, en particulier dans les campagnes, du garde champêtre. Dans mon département, au début, on croyait que l'industrie nourricière n'existait pas; puis on s'est aperçu qu'il y avait, non pas une vingtaine de nourrissons étrangers (au département), mais près de deux cents. Partout on découvre ainsi plus qu'on ne le supposait.

M. MONDOT. Que voulez-vous que nous fassions tous seuls? Il nous faudrait, comme vous le souhaitez, un concours très actif de la police qui nous prépare les voies et nous facilite la surveillance. Sinon, comme nous ne pouvons pas être toujours à la piste des gens que nous avons à visiter, il nous est impossible de rien faire d'utile.

Un fait qui m'est arrivé récemment montre combien l'attention administrative fait défaut dans toutes ces questions. Une fille vient me demander un certificat attestant qu'elle est apte à se placer comme nourrice; elle présentait une éruption de roséole syphilitique et je la renvoyai, comme vous pensez. En ma qualité de médecin, je n'avais pas davantage à faire et c'était l'Administration peut-être qui devait s'émouvoir que cette fille n'apportât pas le certificat qu'elle était venue chercher. Malgré le défaut de certificat, cette femme fut acceptée comme nourrice, contagionna son nourrisson, et, par ricochet, la mère de ce dernier.

Plus tard, elle fut renvoyée et alla porter dans une autre famille la maladie à un enfant et à la grand-mère du petit, pendant que la famille, primitivement syphilisée, faisait venir une seconde nourrice, qui prenait le mal à son tour, etc...

J'assistai en partie à toutes ces contagions en pur témoin, sans pouvoir rien empêcher, tous mes conseils étaient repoussés. Quelle action énergique avais-je le droit, moi médecin, d'exercer? Aucune. Je pense, comme M. Roussel, qu'il y a sans doute énormément à faire, mais qu'il faut d'abord stimuler le zèle des autorités, sans lequel tout notre dévouement reste lettre morte.

M. Fabriès. Je m'associe pleinement aux réclamations formulées par mon confrère et j'ajoute qu'effectivement, dans ma circonscription, il ne faut point compter de nourrices françaises, sur lesqelles nous aurions sûrement plus de prise. Il n'y a pas une nourrice française sur cent espagnoles.

M. Roussel. Je répète qu'en France il s'est produit, et il se produit encore, de nombreuses difficultés qui entravent le bon fonctionnement de la loi. Mais il existe, à côté du préfet, cet agent de l'autorité que vous réclamez, c'est l'inspecteur départemental des Enfants assistés qui est chargé du service de la protection des enfants du premier âge. C'est lui qui peut vous venir en aide.

Quant aux nourrices, il y a peu de Françaises, sans doute. Mais les races du midi, plus avancées en fait d'acclimatement, peuvent y suppléer. Et les Juives ne peuvent-elles pas être bonnes nourrices? J'en ai vu d'excellentes à Constantine; à Philippeville, on trouve des Maltaises irréprochables."  

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